• Ami lecteur : Deux semaines de promenade andalouse Je reviens autour du 15 novembre

     


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    Sonnerie de l’alarme de communication de la messagerie. Quelqu’un cherche à me joindre.

    Je ne suis pas très à jour dans son fonctionnement. Je n’aime pas ce système, mais comment faire. Il me faut bien tester tous les moyens de communiquer avec l’extérieur.

    L’extérieur c’est ce qu’il y a au-delà des murs de ma chambre.
    Pas une prison au sens formel. Une chambre ordinaire.

    Je n’ai aucune raison d’être enfermé là. Je veux dire, aucune raison physique. La porte est ouverte et il n’y a pas de verrou. Les fenêtres donnent sur la grande avenue. Pas de gardien, pas de surveillant. Que les murs.

    Et moi. Et mes pensées. Et mon ordinateur avec la page du journal à la date du moment. Je devrais écrire. Je devrais tout dire. Et je ne peux pas.

    C’est moi-même qui m’enferme. Je suis le plus dur garde-chiourme qui se puisse concevoir.

    Et je n’ai qu’un prisonnier à garder. Moi.

     

    Je n’ai pas conscience de m’être échappé de nulle part. Je n’ai rien volé, je n’ai violé personne. Je n’ai jamais fait autre chose qu’écrire.

    Mes livres se vendent correctement. Enfin, ils se vendent assez pour que je me disse qu’il y a quelques lecteurs qui aiment. Economiquement c’est une ruine. Je ne retrouve même pas le prix du papier sur lequel je fais mes tirages. Mais je ne m’attendais pas à passer à l’histoire. Et je ne sais pas faire autre chose.

    Un jour, j’ai reçu une lettre d’un lecteur. Il avait lu tout ce que j’avais publié. Il connaissait mes opus mieux que moi. Il me mettait au défi d’écrire une suite à trois de mes meilleurs textes  avec la contrainte de faire de lui le nouveau personnage central de l’histoire. A moi de me débrouiller pour le porter progressivement au cœur du récit.

    Il ne me donnait pas d’adresse postale pour lui répondre. Ni de téléphone. Juste une adresse de messagerie électronique par laquelle nous pourrions être en contact permanent.

    Je pourrais lui soumettre le moindre doute que j’aurais sur lui, pour pouvoir faire un personnage vraisemblable et aussi réel que possible.

     

    J’ai trouvé le défi magnifique. Je ne savais rien de lui, mais en communiquant j’aurai peu à peu des bribes. Et je devinerais le reste. Ou je l’inventerai. J’ai accepté.

    Pas une seconde à perdre. C’est mon défaut : Lorsque je me lance dans une tâche, je ne sais pas la moduler. Je m’y enfonce sans trop y réfléchir, cœur et âme jusqu’à ce qu’il en sorte quelque chose d’acceptable. Quelque chose que je puisse lire sans l’effacer entièrement et tout reprendre à zéro.

     

    Je me suis vite trouvé confronté à des problèmes que je n‘avais pas envisagé. Les conversations électroniques me donnaient la matière pour cerner sa personnalité. Je le voyais de plus en plus clairement, avec ses qualités et ses défauts, avec ses facettes glorieuses et ses points d’ombre. Il ne se dévoilait pas. Je le devinais tel qu’il était derrière ses mots.

    La première difficulté était là. Est-ce que je devais écrire ce que je voyais ? Tout travestir ?  Je me rappelais de Zola traitant un de ses personnages  de peintre condamné à l’échec et perdant du coup l’amitié de Cézanne !

    J’essayais de le faire changer d’avis, de me relever de l’obligation que j’avais accepté, de ne plus me lire et surtout de ne plus me demander d’écrire pour lui.

    Peine perdue.

     

    J’ai rapproché mon bureau d’un des murs, le plus éloigné de la fenêtre. La lumière y arrive tamisée et cela devrait m’aider à me concentrer. Sur mes textes, bien sur. Sur la manière de m’en sortir aussi.

    Je cumule deux défauts : Un peu lâche. Je n’aime pas faire brutalement front à une situation désagréable. On dit que l’on est au mieux lorsqu’on est contre les cordes. Mais c’est seulement parce que la fuite n’est plus possible et il faut réagir. Consolation : Il y a des personnalités  qui se bloquent dans l’incapacité de faire face aux situations de la vie et, même contre les cordes, ne réagissent pas.  Ce sont des morts vivants. Ce n’est pas mon cas.

    Le deuxième défaut est une sensiblerie excessive. Je n’aime pas faire mal et je vais chercher tous les moyens de l’éviter. Et du coup retarder des décisions que de toute façon il faut prendre. A la fin on fait plus de mal.

     

    Un jour il a disparu de mon écran. Pas de réponse à mes messages. Rien malgré les relances. Il est parti comme il était venu, sans me demander mon avis. Sans prévenir.

    Je suis sorti de ma prison, mais pas comme un ancien prisonnier libéré, mais à sa recherche. Impossible de me passer de lui. Je m’étais fait la belle pour tenter de le retrouver.  Je n’ai pas réussi.

    En souvenir de lui j’ai écrit une petite nouvelle avec notre aventure.

    J’ai changé un peu l’histoire. J’ai reconnu ses qualités ; il m’avait donné des idées pour rédiger mon travail et elles étaient bonnes. Il aurait tout à fait pu le faire lui-même, sans moi.

    Pour la première fois, j’ai vendu un grand nombre d’exemplaires. Des critiques ont cru voir en moi un véritable écrivain.

    S’ils savaient d’où me venait l’inspiration !

    Mais je suis toujours un peu lâche. Dans les interviews que j’ai accordées, je n’ai rien dit.

     

    © Jorcas

     

     


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    Je sais que parfois tout s’enchaîne, les histoires de pente sur laquelle on glisse. Mais ça ne me suffit pas, je ne suis pas convaincu que cela vienne tout seul.

    Il n’y a pas plus d’enchainement dans le bonheur que dans le malheur.

     

    Alors quoi, tu nous joues le mécréant ?

     

    Eh bien, je n’ai pas la réponse facile et ce n’est pas le lieu pour faire de la réflexion prétendument philosophique. J’ai tellement de doutes que je doute de mon doute. C’est la sardine qui se mord la queue, j’en conviens, mais c’est une réalité. D’ailleurs, elle est très partagée car a lire comme je le fais tout ce qui s’imprime et s’exprime, on n’est pas plus avancé.

    Les gens se contredisent les uns les autres, ce qui est normal, autrement ce serait le silence des cimetières. Si on les suit un peu de temps, ils se contredisent eux-mêmes. Ils ont beau expliquer, donner des raisons, souvent irraisonnées, c’est quand même le contraire de ce qu’ils avaient dit avant. Et avec quel talent et quelle force !

    Vous prenez une logique de syllogisme rigoureux. C’est bon, il n’y a qu’une bonne réponse. Puis un petit changement dans l’ordre des mots qui ne change pas grand chose dans la vie ordinaire de vous et moi et le tour est joué. Ce qui était imparable hier tombe dans l’eau aujourd’hui.

     

    Mais ça ne vaut pas ! Tu parles de réflexion élaborée et tu sautes à la vie de toi et moi. Quel rapport ?

     

    Justement, je voudrais qu’il y ait un rapport. A quoi ça me servirai de me triturer les méninges si je ne comprends pas pourquoi le pain coute plus cher aujourd’hui qu’hier ? Et ta petite voisine, qui t’aimait tant, elle a été faire du vélo avec  le bellâtre du cinquième. Elle t’avait bien dit qu’elle aimait les hommes fins et intellectuels comme nous. Et puis ? Tu comprends le changement ? T’as une explication logique ?

     

    Ca n’a rien à voir avec la logique. On s’aimait, on ne s’aime plus, c’est tout. Elle va voir ailleurs, c’est la vie.

     

    Pourquoi elle t’aimait hier et pas aujourd’hui ? D’accord, tu es un jour plus vieux, mais pas plus con. Ni plus intelligent. Tu t’habilles toujours à la mode du siècle dernier et t’as des bouquins plein ta chambre et des boutons plein la figure. Comme hier et avant hier. C’est bien ce que je dis, il n’y a pas de logique, donc pas de fatalité. Et toutes les explications qui prouvent qu’A plus B égal C sont fausses dès qu’on les sort du livre de maths. La vie c’est autre chose.

     

    Ca veut dire aussi que tout ce que tu me racontes est bidon, car c’est ma vie, mais tes élucubrations, donc, ça ne fonctionne pas ensemble.

     

    Oui et non. Enfin, peut être. Ce qui est important c’est que tu comprennes qu’il n’y a pas de fatalité et que la logique A plus B ne marche pas.

    Au fait, je voulais aussi te dire, le bellâtre du cinquième s’est trompé de route hier et ta jolie voisine l’a attendu pour rien. Un lapin involontaire, mais un lapin. Comme je passais par là en voiture, j’ai proposé de l’accompagner chez elle pour y laisser le vélo puis aller faire un tour.

    On a été chez elle et il s’est mis à pleuvoir, tu ne peux pas t’imaginer. Ce n’est pas idéal pour faire un tour, alors, on est resté à couvert.

    Demain matin on part ensemble au Touquet passer une petite semaine ensemble. Faire des ballades sur la plage.

     

    Je m’en fous, tu peux la garder sans me donner des raisons tarabiscotées. Le bellâtre du cinquième, comme tu dis, s’appelle Jeannot et hier  il ne s’est pas perdu : On était ensemble. Voilà, tu sais tout. Nous la semaine prochaine on s’en va sur la Côte d’Azur, Jeannot est bien plus beau lorsqu’il est bronzé et il paraît que le soleil c’est bon pour mes boutons.

     

    © Jorcas

     

     


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    La marionnette à ses moments perdus se rêvait  sur scène dans le petit théâtre qu’elle voyait de sa fenêtre, là-bas dans le square.

    « Vraiment c’est bien plus intéressant,  plus amusant  que d’être ici clouée au mur, juste bonne à casser la monotonie de la paroi. »

    Alors, ni une ni deux elle tira de ses fils fort, fort, aussi fort qu’elle pouvait, pour arracher le clou puis sauta du mur sur le buffet, du buffet sur la table, de la table sur le sol.

    Et trainant ses cordelettes et le clou resté attaché, partit en courant d’une course de marionnette vers le jardin publique où l’attendrait certainement son public.

     

    Elle arriva juste avant la fermeture, à temps pour entendre des applaudissements. Quelle musique merveilleuse !

    Elle entra par la petite porte sur le coté. Une main la prit par la taille.

     

    « Tiens, elle est nouvelle, celle là. Probablement pour la pièce de dimanche matin. »

     

    Et la main la posa doucement assisse sur une planche, côte à côte avec un beau monsieur à barbe et à moustache et une vieille sorcière qui se trainait de l’autre coté et la regardait de travers.

    La pièce de dimanche ! Capable d’improviser, elle l’était, sans doute, mais pour une première, c’était tout de même un pari risqué.

     

    «  Alors, c’est vous qui ferez la mijaurée, dimanche ? « 

    Lui demanda la sorcière 

     

    Mijaurée ? Pour qui elle se prend cette échappée du mussée des horreurs ?

     

    «  Vous êtes peut être la principale héroïne de la pièce, avec votre tête ? »

     

    « Bien sûr ! C’est bien moi la garante du travail de l’auteur !  Vous, l’auteur ne vous a mis là que pour faire valoir son point de vue. »

     

    Pas si différent de son ancien mur. Collée par une autre sorte de clou, mais clou tout de même !

    Mais si elle avait eu la force de s’arracher à son premier destin décoratif, pourquoi ne pas continuer sur son propre chemin ?

    Les yeux fermés pour concentrer toute son énergie, elle souhaita que les fils qui trainaient encore deviennent des ailes. Des petites ailes superposées, comme celles des libellules  qu’elle avait vu, l’été, tourner près de la mare du jardin.

    Elle serra les dents, se concentra, un seul vœux mais profond. Et alors, elle se mit à voleter. Son corps devint tout bleu, d’un bleu doux.

    Et d’un seul coup de ses anciennes cordelettes, elle s’élança …..vers la mare d’eau du jardin.

    Un souffle de vent du nord en fit une belle petite libellule en ciment  posée sur le chapeau du nain de jardin.

     

    © Jorcas

     

     


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    Le petit avion se mit en ligne, face à la piste.

    C’est ça, la piste ? Mais elle n’est même pas droite ! Comment tu vas faire ? 

    C’est embêtant  si on ne le sait pas, mais une Cesna comme celle-ci, ça se pose sur un arbre, alors une piste pas trop droite, ce n’est pas un problème. Tient toi tranquille, je vais te faire un modèle d’atterrissage en douceur ! 

     

    N’empêche que j’étais content de descendre, une fois que nous nous sommes arrêtés à coté de la baraque mal soignée de l’aérodrome de campagne.

    A cette époque de l’année, pas une goutte de pluie. La terre est brique, l’herbe marron et les animaux maigres.

    C’était la raison de notre voyage : aller chercher des points d’eau qui n’étant pas encore secs, voyaient défiler tous les animaux sauvages du coin, surtout à la tombée de la nuit.

    Je voulais des photos pour une revue  qui depuis quelque temps publiait mes folies biscornues, en échange de petits reportages gnangnan et des photos des paysages et animaux du Llano.

    Le « baquiano » qui devait nous guider, un « zambo » au sourire permanent, nous attendait à l’intérieur. Il voulait nous préparer à l’aventure.

     

    Nous préparer, vous faites du cinéma. Depuis le temps qu’on photographie des animaux, on est habitué à poster bien placés et à cadrer les appareils à temps. On sait qu’on a peu de temps pour les prendre avant que la nuit tombe. 

     

    Je ne vous parle pas de votre métier, mais de ce qu’on va rencontrer. Si vous voulez faire de bonnes photos, il faut que vous ne soyez pas surpris, ou alors, vous raterez les meilleures.

    Je vais vous conduire à un point d’eau que résiste toute la période sèche, jusqu’aux  pluies suivantes.

    Pas loin d’ici, il y a quelques années, une femme du pays était partie se baigner dans la rivière. Nue et belle, elle ne faisait attention à rien, même au paysan qui, caché derrière les hautes herbes la regardait se baigner. C’est lui qui nous a raconté après comment le grand  Cayman l’a surprise. Elle est partie avec lui au fond de la rivière et on ne l’a plus jamais vue.

     

    Maintenant, à la saison sèche, la rivière s’efface peu à peu et il ne reste que cette mare, qui tous les après-midi donne à boire aux animaux de la forêt. Lorsque la nuit s’approche, un bruit, comme une chanson, sort du centre de la mare pour prévenir les animaux que le grand Cayman va faire sa promenade et pourrait avaler tous ceux qu’il rencontrera sur son chemin. Alors, les animaux s’en vont et sur les bords, se promène  seul  un Cayman avec de longs cheveux qui trainent sur son corps et des yeux amande qui pleurent, pleurent, comme un petit enfant apeuré.

    On n’a jamais su si c’est celui qui avait pris la femme pour la conduire au fond de la rivière ou leur enfant, qui a le corps de son père et les cheveux et les yeux de sa mère.

    On l’a appelé de son nom à elle : Mercedes

     

    (Mercedes est une chanson de l’auteur-compositeur vénézuélien Simon Diaz)

    © Jorcas

     

     


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