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    Elle traverse les passages étroits en chantant. Quelle importance, tout cela ?

    Un mot rauque sort de sa bouche comme une volute de fumée. Il enfle en montant dans l’air. On croirait une mauvaise rumeur courant le long des rues.

    Lorsqu’elle ira à la rivière, cet après midi, se promener à son gré sur les berges sauvages, elle criera son nom, fort, fort, comme si elle voulait être entendue de tous.
    Elle voudrait être entendue de tous.

    Elle voudrait que tous sachent, ne pas avoir peur de le dire clairement, une fois pour toutes : Elle, la laide, la pauvre, avait un amoureux. Et il s’appelait…..

    Il valait mieux le crier pour les canards et les poules d’eau seulement. Pour le moment.
    Plus tard, si elle avait un enfant, qui serait beau, très beau, il serait bien temps de le dire.
    Les autres ne pourraient plus la croiser faisant semblant de ne pas la voir. Pas avec un enfant. Ce serait sa joie, de dire à tous : Il s’appelle comme lui, comme mon amoureux.

    Il reviendra à la fin de l’été, si l’enfant est né, pour le voir, pour le prendre dans ses bras.

    Après il retournera au port, il reprendra la mer, mais nous resteront ensemble, mon petit et moi. Nous pourrons l’attendre serrés l’un contre l’autre. Nous nous tiendrons chaud.

    Et je serais la plus belle femme du village.

    Pour mon enfant.

     

     


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    C’était une belle journée, chaude, même, pour un mois d’automne.

    J’ai repris la même route que d’habitude pour ma promenade. Pourtant, je me sens l’âme d’un petit découvreur. Parfois j’aime bien chercher des nouveaux endroits, changer  d’horizon.

    Sans excès, tout de même. D’abord parce que je ne m’éloigne jamais trop de mon hameau; Quelques kilomètres, mais pas plus. C’est suffisant pour que la lumière ne soit plus la même, pour que les perspectives changent.

    Ma chance c’est cette montagne qui me fait face. Tantôt d’un vert tendre, parfois d’un faux bleu. Le matin le soleil l’éclaire violemment de mon coté, découvrant le fond de ses rides, des petits ruisseaux miroitants. Les après midi sont magiques. Les ombres l’envahissent progressivement et chaque arbre, chaque petit promontoire s’allonge mystérieusement, comme dans un conte pour enfants.

     

    Il est à peine 4 heures de l’après-midi, moment spécial, lorsque les ombres commencent à s’allonger dans ma montagne. Je me suis assis sur cette pierre qui m’accueille si souvent dans mes ballades, pour respirer à fond, parfois, après une longue marche, ou tout simplement pour voir le soleil s’en aller, passer de l’autre coté, où je ne peux plus l’apercevoir.

    Un reflet brillant a attiré mon regard et m’a fait voir cette bête à Bon Dieu, juste devant moi. J’attendais qu’elle s’envole, mais elle ne bougeait pas.

    En me penchant, j’ai découvert que c’était un leurre, une fausse coccinelle collée sur une petite pierre grise polie. Je ne sais pas comment cette sorte de porte-bonheur a atterri là, certainement tombée d’une poche percée qui, elle, n’a pas porté chance.

    Je l’ai prise et l’ai posée sur mon pantalon le temps de regarder ma montagne s’assombrir  pour la nuit.

     

    J’ai senti un chatouillement sur ma jambe avant de faire attention au petit chuintement. Je n’ai pas eu le temps de me gratter avant de m’apercevoir que la demoiselle s’adressait à moi. Heureusement, car j’aurais pu lui faire mal involontairement !

     

    -Chuiii

     

    Voilà un terme qui, à premier abord n’a pas une grande signification, ni pour moi ni pour personne, à moins que des coccinelles n’écoutent mon histoire. Mais j’ai compris que c’était à moi qu’elle s’adressait et je me sentis obligé de faire un effort pour comprendre, c’est la moindre des politesses.

    Bien qu’elle n’ait pas eu, de son coté, la politesse de me laisser regarder la fuite de la lumière sur ma montagne jusqu’au bout, mais il se peut bien que les coccinelles n’apprécient pas autant que moi les changements de coloration des coteaux.

     

    -Chuiii

     

    J’avais l’option de me mettre à chuinter moi-même, mais faute de maîtriser la chose, j’ai crains que mon zézaiement non contrôlé ne m’amène à dire quelque chose d’incongru ou pire, de grossier ou de méprisant en langage bête à Bon Dieu. J’ai préféré prendre le parti du français, en articulant au mieux et sans trop élever la voix :

     

    -Bonjour mademoiselle, vous me voyez désolé de ne pas comprendre ce que vous me dites là, mais croyez que j’aurais aimé poursuivre cette conversation. Vous avez d’ailleurs des élytres magnifiques !

    -Vous pouvez parler normalement, ne me prenez pas pour une débile ; Je vous ai sifflé pour attirer votre attention, mais je parle couramment toutes les langues. Heureusement, car on ne sait jamais sur qui on tombe dans ce métier de porte-bonheur et si on ne peut pas se faire comprendre, alors autant rester gelée sur mon caillou poli, vous ne croyez pas ?

     

    -Bien sûr, bien sûr ; excusez-moi de cette entrée en matière cavalière, mais j’ai peu l’habitude de rencontrer des coccinelles porte-bonheur ; D’ailleurs, je vous ai prise  pour une bête à Bon Dieu ordinaire, si je puis dire. J’ai été un peu surpris de vous entendre chuinter.

     

    -Siffler !

     

    -Oui, pardon, siffler.

    Donc, vous êtes une sorte de génie, mais sans lampe à frotter ? Et que faîtes-vous sur ce chemin peu fréquenté ?

     

    -Je vous attendais. Je sais que dans la journée vous êtes un peu occupé mais que vous vous échappez l’après-midi pour dire bonsoir à votre montagne et c’était donc là l’endroit le plus approprié pour vous parler.

     

    -De quoi ?

     

    -De vous, de moi, des choses que nous allons faire ensemble.

    Parce que je ne suis pas un porte-bonheur ordinaire. Allez zou, je te mets dans ma poche et je vais acheter un billet de loterie et tu vas me faire gagner. Trop ordinaire, trop facile pour mon rang. 

    J’ai lu votre dossier dans nos archives coccinelle-thèques. Je sais que vous aimez cette montagne, que vous venez marcher sur ce chemin tous les jours, que vous ne vous éloignez jamais trop de votre petit village, mais que la nuit vous rêvez éveillé et vous vous imaginez en grand aventurier. Alors je suis venue vous faire vivre des aventures.

    Mais j’ai besoin d’en savoir un peu plus sur vous, notre bibliothèque a quelques manquants, malgré le soin que nous mettons à déchiffrer les vies et les rêves.

    De quelles aventures rêvez-vous ?

     

    -Je n’ose pas trop vous en parler. En fait, je n’en ai jamais parlé à personne et je suis même un peu gêné de savoir que quelque part on lit mes illusions nocturnes sans même m’en informer.

     

    -Vous n’avez pas à être timide avec moi. D’abord je ne quitte ma pierre que si j’aime bien mes cibles. Excusez-moi de vous appeler ma cible, c’est de la déformation professionnelle.

    Donc, pour me manifester il fallait que je vous aime un peu; J’étais obligée de me couler un peu dans votre tête. Je vous ai suivi dans vos déplacements sur ces chemins qui partent du village. C’est facile, car vous n’allez jamais bien loin, vous ne changez pas beaucoup vos habitudes, un peu routinières, un peu contemplatives. Vous rêvez éveillé, le jour par ici, en regardant le paysage, le soir dans votre lit.

    Et vous, si calme, si constant dans vos ballades, vous rêvez d’aventures, toujours d’aventures.  Je sais que c’est comme ça, mais je n’ai pas eu le temps de les déchiffrer, alors racontez-moi tout.

     

    -Je veux bien vous en dire un peu, Vous êtes si mignonne ! Et si convaincante !

    Lorsque j’étais enfant, quelqu’un m’a offert pour un anniversaire une collection de livres d’Emile Salgari.

    Alors, le soir, je partais avec lui dans la mer de Chine affronter les pirates, les tigres et les mille dangers auxquels il faisait face. C’est sûrement à cause de Salgari que j’ai une telle fascination pour la beauté des tigres.

    Depuis j’ai grandi et j’ai oublié presque toutes les histoires de Sandokan et je serais incapable de tuer quelqu’un, même un ennemi, même en rêve. Mais j’ai gardé une envie passionnée de voyages, de rencontres, de connaître ce qui ne ressemble pas à ce que je connais ici, des gens qui s’habillent autrement, qui mangent d’autres choses.

    Voilà ! Mon goût pour l’aventure est né avec Sandokan, mais n’a plus rien de commun avec lui, je n’ai pas d’ennemis, je n’ai rien à conquérir, je veux seulement connaître, voir.

    Malheureusement je ne peux pas partir d’ici. Je suis obligé de faire mon travail chaque matin, sans faute, toute l’année. Je ne travaille pas l’après-midi, mais je n’ai pas de vacances, je ne peux pas m’éloigner. On n’a pas marqué ça dans mon dossier ?

     

    -Je sais que vous ne pouvez pas partir avec vos jambes, mais vous pouvez le faire avec votre tête, un peu comme vous le faites le soir, où vous désirez tellement fort  vos rêves qu’ils se manifestent pendant la nuit, à peine avez vous les yeux fermés.

    Tout ce que vous avez à faire c’est de me suivre.

    Je vais aller jusqu’à la grande pierre, juste avant le tournant, vous la voyez ? Elle est cassée en deux, par un éclair, prétend-t-on dans votre village. Rejoignez-moi justement entre les deux parties de la pierre fendue.

    Cette pierre est une porte, une porte de rêve qui vous fait entrer dans une autre dimension, celle de vos pensées. Je ne vous propose pas de vous tenir la main, car vous abîmeriez mes élytres, mais de passer à coté de moi.

    Vous verrez, au-delà de la pierre, au début le paysage est le même, la même herbe, le même chemin, seule votre montagne sera absente, invisible, puis, insensiblement, tout doucement vous serez là où votre esprit vous emportera.

    Et vous pourrez mettre le pied dans un nouveau monde, conquérir des continents inconnus puis les parcourir, remonter les rivières larges au début, puis violentes, merveilleuses d’eau vive dans leur premier cours, escalader des montagnes et affronter victorieux, c’est l’avantage d’être l’auteur du rêve, des animaux sanguinaires qui finiront par vous faire allégeance, parvenir enfin jusqu’au cœur des empires sauvages et vous faire reconnaître leur Cid, ou plus moderne, une sorte locale de Laurent d’Arabie. Voilà des aventures qui vous changeraient de votre vie actuelle !

     

    -Ce sont des stéréotypes qui ne me correspondent pas. Aventure c’est aller au-devant de ce qui va arriver, pas conquérir. Je n’ai aucun désir de pouvoir à assouvir.

    Ce que je voudrais, c’est accoster avec mon bateau un vieux port en planches et, dès que j’arriverai au bord de la passerelle, me fondre au milieu d’une foule de gens paisibles et différents.

    Je voudrais les observer, comprendre leur langue, les accompagner dans leurs déplacements pendant qu’ils m’expliquent ce qu’ils font, quel est leur nom, leur métier, leurs amis.

    Je voudrais qu’ils m’apprennent leur écriture, une merveilleuse et artistique calligraphie, des signes complexes et puissants mais faciles à comprendre qui me disent l’histoire de ces peuples.

    Je voudrais admirer leurs estampes, ces visions nébuleuses de montagnes couvertes de végétations luxurieuses démesurées où des savants, des saints, des amis des hommes, comme Bouda sous son figuier, réfléchissent, pensent aux autres, récitent des poèmes doux, chantonnants.

    Je voudrais sourire et saluer ces femmes si belles, si douces, si tendres qu’elles m’aimeraient, même moi, elles tiendraient ma main pour me conduire à travers les villages et me faire découvrir encore d’autres paysages merveilleux, me faire goûter des mets qu’elles ont préparés pour un invité qui est leur ami, pas un étranger, pas un personnage, un ami, tout simplement, un vrai.

     

    - C’est presque du cinéma en grande salle, que vous espérez. Je vous ai peut être trop tôt imaginé en nouveau Tartarin, plus efficace.

     

     -Ce que je cherche dans l’aventure c’est la chaleur humaine sentie de près, ce qu’aucun cinéma ne sait encore faire. C’est le partage avec d’autres de ce qui leur est cher, participer à une autre vie que la mienne, non comme une fuite, je ne renie en rien mon petit village et j’y reviens toujours, comme lorsque je pars regarder le coucher de soleil sur ma montagne, mais je serais bien plus riche, je comprendrais bien plus de choses, j’aurais plus de bonheur en apprenant tout ce qui ne se trouve pas au détour de ma maison, tout ce qui n’est pas inscrit dans les pierres de ma ville.

    Si j’étais un nouveau Tartarin, ce serait par les choses que je pourrais raconter après les avoir observé, non pour me faire admirer, mais pour faire partager ce que j’ai appris. Voilà mon désir d’aventure.

    J’irai dans ce monde à moi et je rapporterai comme souvenirs uniquement ce que l’on voudra m’offrir de bon cœur, rien que j’aurai pu arracher, rien que j’aurai été seul à vouloir garder pour moi et qui ne me rappellerait que ma présence dans ce monde merveilleux alors que je veux que chaque chose que je possède me parle de ceux qui me l’ont transmise, donnée.

     

    Ma Coccinelle m’écoutait sans bouger. Etait-elle déçue ? Je ne pense pas, son métier est d’aider ceux qui la dévoilent à réaliser ses pensées, non à en avoir d’autres différentes. Voilà ce qu’est un bon génie.

    C’était son cas.

     

    -Allez donc dans ce mirage qui se réalisera pour vous. Vous n’avez pas besoin de moi pour le parcourir, vous avez en vous-même tous les moyens de le faire, une fois la pierre traversée.

    Moi, je vous attendrai là. Je serai juste dans la fente de la pierre, figée sur mon petit caillou poli. Prenez-moi, mettez-moi dans votre poche et gardez-moi toujours ainsi. C’est le seul don, le meilleur, que je peux vous faire, moi simple coccinelle.
     

    © Jorcas

     

     

     


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