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Depuis deux mois que je me suis installé à Paris je m’épuise en lectures sophistiquées. Des livres qui vont m’apporter un peu d’intelligence, en plus de quelques connaissances nouvelles. Des phrases à placer dans la conversation pour ne pas avoir l’air trop plouc.Il faut à tout prix que je me lave de cette crasse accumulée pendant tant d’années perdu au fond de mon trou.
Ma dernière acquisition est un dictionnaire en plusieurs volumes. J’ai commencé à le lire, mais j’ignorais qu’il pouvait être si mal écrit, si décousu. Les mots se suivent sans raison, sans lien les uns avec les autres. Une galère. J’espère qu’à la fin du dernier volume je finirai par comprendre.
Par moments j’ai envie d’y aller directement, aux dernières pages, pour savoir la fin du fin. Mais je me retiens. J’aurai sans doute le mot de la chose mais je n’aurai pas acquis cette patine qui me fera sauter d’une marche dans l’échelle sociale.
Pour compléter ma mise à niveau de citadin moderne, je regarde aussi la télé. Pas les jeux. Ils sont marrants, mais j’ai entendu dire que c’est mal vu. Dans les revues sérieuses on en dit du mal, alors je m’abstiens.
Je regarde les nouvelles. C’est drôle que des nouvelles commencent toujours par le temps et le sport. Au fond, ça me console un peu, je ne suis pas si abrouti que ça. Moi aussi je sais regarder le ciel pour savoir s’il pleut ou pas et pour ce qui est du sport, je joue tous les dimanches avec mon club de foot. Je sais tout sur le sport.
Ce qui me passionne c’est la rubrique internationale. Que des saletés. Non seulement les étrangers sont moins malins que nous mais en plus ils ne cessent de se tuer entre eux. C’est étonnant qu’il en reste encore, à ce rythme là.
Dans certaines chaines, aux nouvelles il y a aussi de belles filles. C’est une bonne chose, des fois que les nouvelles ne soient pas terribles, c’est tout de même un plaisir de les regarder, les filles. Et puisque c’est pendant les nouvelles, ça doit être des regards intellectuels. C’est de filles fortes, celles-là.
Ce n’est pas tout. Cultiver son esprit c’est bien, mais le gens vous jugent parfois au premier coup d’œil, avant que vous ayez eu le temps de placer quelques unes de vos phrases lues dans les livres de qualité. Alors je soigne aussi mon allure.
Je me suis acheté quelques revues de mode pour me tenir au courant et me faire une idée plus tendance que le catalogue de la Redoute. Avec ça, j’ai bien compris comment il fallait faire. J’ai photocopié chez un copain, en couleur, s’il vous plait, des photos d’un certain Karl quelque chose et je me suis commandé des habits comme lui. Les cols de chemise qu’on ne peut pas mettre pour manger parce qu’ils vous bloquent la gorge, mais ils vous font une tête princière, paraît-il. De très grosses lunettes. Et je suis en train de me laisser pousser les cheveux pour me faire une queue de cheval.
Voilà le travail !
Je me suis aussi acheté une voiture. Une quatre quatre, ça s’appelle, parce que toutes les roues fonctionnent. J’ai pris la plus grosse, noire bien sûr, c’est la couleur qui emballe, m’a dit le vendeur. Un peu chère, mais au poids, finalement, ce n’est pas trop du kilo.
Le mois prochain je ferai un tour au village. Je n’y ai pas mis les pieds depuis que j’ai gagné au Loto. Si je n’y vais pas ils vont croire que je les regarde de haut. Ce n’est pas vrai, bien que moi, maintenant, enfin, pour dire bientôt, lorsque je serai un intellectuel, je ne serai plus un bouseux comme eux, mais un citoyen de qualité.
J’irai payer la tournée et me laisser regarder, avec ma queue de cheval et ma chemise à la Karl.
Je suis sur que le patron du bar va aimer. Après m’avoir vu comme ça, les gens vont se mettre à acheter des billets de Loto tout le temps. Avec un peu de chance, un jour nous serons peut être deux intellectuels dans le village.
On pourra dire que pour nous, la promotion sociale, ça marche !
© Jorcas
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Tu n’avais pas imaginé
Qu’un matin
Quelque part au delà de l’horizon
Un magouilleur à barbe et haut de forme dirait:
Il faut les ramasser !
Il faut les enterrer
Y mettre un signe fort
Pour la reconnaissance
Des enfants de nos enfants
Il faut scruter les arbres
Soupeser la couleur
Lorgner les chants des oiseaux
Creuser l’air des matins gris
Pour ne pas être surpris
Le moment venu
Car le moment venu ne se répète pas
Il ne prévient pas
De son arrivée ni de sa fuite
Il s’arrête à peine un instant
Comme le train invisible en gare du Pleur perdu
Puis il s’en retourne silencieusement
Ni vu ni connu
Ni attendu sous les marques de fumée
Des anciennes cheminées
Peuplées d’escarbilles refroidies
Par le souffle de légions de mouches
Battant des ailes
Au rythme effréné des musiques militaires
Sonnant la retraite
Devant l’ennemi présumé
Foin donc des feuilles mortes
Et des pelles
Foin des jours coulés en bordure de mer
Aux cris encourageants des mouettes
Affamées
Foin surtout des pensées méridiennes
A midi tapantes
Ou peu après
Portes ouvertes à deux battants
Pour ces êtres charmants
Et ignares
Qui de leurs voix les plus criardes
Nous préviennent
Des dangers du lendemain
Nous portent dans leurs cœurs
Quelque peu rabougris
Mais faute de grives
Ne faisons pas les merles
Ecoutons courtoisement
Sourions poliment
Dansons quelques instants
Au son de leurs rengaines
Ouvrons la porte de derrière
Et au premier instant blanc
Esquivons-nous gaiement
Nez en l’air, mains dans les poches,
Regard perdu dans l’au-delà le plus abscons
Jusqu’au bois touffu
Qui fait peur aux nigauds
Aux sorcières pâlottes
Et aux mirliflores
Car la vie est trop vive
Trop brouillante, trop sincère
Et vive les feuilles mortes
Qui nous servent d’édredon !
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Que faites vous là ? demanda le premier venu.
C’est simple, j’aurais dû être là avant vous. C’était à moi d’être le premier. Vous vous immiscez dans une histoire qui n’est pas la votre.
C’est une affirmation tout à fait gratuite. Ce qui compte est d’en être ou pas et j’ai été avant vous. Vous devez en prendre votre parti
C’est à elle d’en décider. Il était prévu entre elle et moi que je serais là avant tout le monde. Je ne comprends pas comment vous avez fait. Vous n’avez pas respecté les horaires établis. Vous l’avez fait exprès, n’est-ce pas ?
Oui et non. C’est elle qui m’en a prié et m’a fixé l’heure à laquelle je devais arriver. Je n’ai pas posé des questions. Vous venez de m’éclairer et par la même occasion vous vous êtes éclairé vous mêmes. Vous pouvez donc partir.
J’ai surpris cette conversation entre deux tourtereaux turcs, huchés sur la barre verticale du jeu d’enfants, dans le jardin. En leur absence ils colonisent le lieu donnant le spectacle de leurs roucoulements. Là, il semblait avoir un élément nouveau.
Mais au fond, pourquoi de telles circonstances seraient-elles réservées aux humains ?
Je vais attendre qu’elle vienne et me confirme son avis. Vous ne faites, peut être, que profiter d’une coïncidence pour me supplanter, pour éliminer un rival.
Je crains qu’elle soit en train de nous observer du haut d’un fût de cheminée et qu’elle attende que nous résolvions le problème de la présence en trop par nos propres moyens.
Vous suggérez les coups de bec ? Je ne me bats pas avec le premier venu. Il faudra me prouver que vous le méritez.
Vous avez peur de perdre votre collier noir ? Vous avez raison. J’ai décidé que la prochaine cuvée me ressemblerait et je ne lâcherai pas prise. D’ailleurs, elle me trouve mieux, sans le moindre doute. Voilà pourquoi elle m’a mandé avant vous. Vous partez de suite ou vous voulez affronter mon bec ?
Le deuxième venu commença alors un étrange bal, se tournant alternativement d’un coté puis de l’autre, levant et abaissant le cou, mais sans changer la distance qui le séparait du premier venu. Et la tourterelle qui ne venait toujours pas pour résoudre pacifiquement cette règle de trois.
D’un coup, l’ex deuxième venu s’est envolé et a disparu à l’horizon.
Quelques minutes à peine passées, la tourterelle s’est posée doucement sur la barre et a commencé la danse, allant et venant d’un coté et de l’autre puis jouant de son bec contre celui du tourtereau.
Lui, gonflant son plumage pour se donner l’air bien plus fort qu’il n’était, devait commencer à transpirer sérieusement. Si tant est que les tourtereaux transpirent.
J’en ai conclu que ces bestioles ne sont pas plus évoluées que les supposés rois de la création. Le roucoulement en plus.
© Jorcas
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Je construis une Oreille Sélective. On me propose de la vendre chez les commerçants de prothèses auditives. Je ne sais pas si j’aurais un fort succès économique, car elle risque de ne pas être assez chère.
Je préfère l’offrir. Entre fous, poètes, chômeurs, enfants ayant mal tourné, parents submergés par les précédents, femmes en mal d’amour, travailleurs précaires et clochards itinérants, je devrais pouvoir en placer beaucoup.
Je n’ose pas dire que je vais faire l’oreille du cœur. D’aucuns croiraient que je me moque des restos et rien ne serait plus faux. Mais le principe est le même. Mon oreille est destinée à ceux qui ne peuvent pas entendre ce qui leur est nécessaire, vital.
Pour payer la fabrication il me faut un, ou plutôt, des sponsors. Et s’agissant de mon oreille, je veux bien accepter, sous resserve d’approbation, des sponsorisations visuelles, mais nullement auditives.
Vous imaginez ? Au moment où mon Oreille Sélective transfère le message : Je t’aime à la folie, mon amour, il y a une coupure, entre « aime » et « à » qui dit : « l’amour est plus agréable avec yogourt truc » Et ce serait la porte ouverte aux yeux de mots : « Le yogourt truc est plus agréable après l’amour » et ainsi de suite.
Ayant raté le concours Lépine, j’en suis réduit à chercher de deux manières les fameuses bonnes âmes pourvues de capital et ayant des conditions raisonnables pour leur apport : La voie de presse et le bouche à oreille.
On s’en doute, j’ai un solide penchant pour ce dernier. Il me pose toutefois quelques questions préalables dont la solution conditionne son utilisation.
Tout d’abord la malveillance. La fiabilité de mon Oreille Sélective repose entièrement sur la bonne programmation de son calculateur interne qui gère la boite vocale à émission de paroles douces. Or, la chose partant d’un bon sentiment et non d’un algorithme digne d’une médaille Fields, c’est assez facile à déprogrammer et reprogrammer de mauvaise manière.
Il ne faut pas que le message puisse devenir « je t’attends à dix sept heures, hôtel de la Joie. Demande Marcel »
Ensuite, l’excès d’enthousiasme pour le procédé et ses possibilités. Chaque bouche volontaire et indépendante peut estimer qu’elle possède le bon message, la Vérité avec un grand V. Je me vois déjà instrumentalisé par les prophètes de toute sorte, par les différents croyants en la seule vérité d’ici bas et même de l’au-delà. Non. Impossible de courir un tel risque. Combien de cerveaux pourraient être affectés dans leur vie, déjà problématique, par un message transmis au plus intime grâce à mon procédé ! De quoi serais-je complice ! Pas question.
Il est ainsi démontré que la communication de bouche à oreille pouvant non seulement tomber sur n’importe quelle oreille mais bien plus préoccupant, sur n’importe quelle bouche, ce choix comporte un risque démesuré.
Ainsi, à moins de trouver le moyen de contourner le péril, il faudra l’oublier.
Reste la voie de presse.
L’écrite est actuellement mal en point, sauf si elle vit de publicité et l’avoue (Celle qui est le plus gravement malade est celle qui vit de publicité mais le cache ou le réfute) Il me reste internet. C’est à la mode, c’est répandu. On trouve ce que l’on veut.
Je me demande si mes receveurs potentiels ont un accès régulier à internet. Mais je peux toujours ouvrir un blog pour faire connaître mon invention et ses bienfaits et donner la référence des points d’obtention possibles. Soupes populaires, restos du cœur, Emaus, bref, tous les lieux où se rejoignent pour des raisons plus que compréhensibles les privilégiés de notre société actuelle, ceux qui ne vivent que de la triche, les mères célibataires avec enfants affamés (n’avaient qu’à pas) chômeurs hors statistiques, titulaires de contrats de travail à malnutrition garantie, rejetés d’ailleurs. Ça en fait du monde !
J’ai aussi pensé à l’offrir en déposant une vitrine ouverte contenant les O.S. dans les ANPE. Il y a des nécessiteux potentiels pour mon oreille. Je crois que c’est une bonne idée, même si à la vitesse avec laquelle le redressement statistique vide les listes d’ayant droits, les vitrines peuvent être bien trop grandes pour le nombre de récipiendaires accessibles.
J’aurai bien voulu aussi placer mes vitrines à la sécu, dans les consultations gratuites, surtout pour des psys. Mais je crois que ce n’est pas permis.
Je compléterai cette voie informative par des encarts publicitaires non payants que je me fais fort d’obtenir sous forme d’articles rédactionnels dans les magazines destinés à l’étage social suivant les crève-la-faim. L’idéal serait les revues avec programme télé. « Si vous croyez que le jeu télévisé trucmuche ou le Loto peuvent changer votre vie, l’Oreille Sélective vous aidera à attendre, car le délai pour le nirvana par cette route là est bien plus long qu’on ne vous le dit »
Je me dépêche de déposer le brevet. Dès que j’aurai reçu le numéro correspondant je me mettrait en campagne. Si vous voulez participer à l’aventure avec l’assurance de ne pas gagner un centime, de voir et entendre beaucoup de choses tristes mais d’avoir la joie d’être utile à un tas de malheureux qui ne s’intéressent pas au CAC 40, surveillez la parution de mon annonce. Elle donnera le top, départ !
© Jorcas
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Le petit canal perd son corps, sa couleur, ses rives au passage de la grande roche brune
L’eau fait des tourbillons pour s’accrocher aux rayons de lune
Les nuits douces comme des baisers d’amoureux
Au-delà c’est l’interdit, le lieu sans nom, l’ombre du paysage
Seul mon esprit maraudeur arrache les pages des arbres à papier
Pour en faire de navires d’argent qui remontent le courant en silence
Demain matin j’irais planter un drapeau blanc sur le sommet de la roche
En signe de paix de l’esprit, une fois la conquête du pays perdu achevée
Et les armes rouillées enfouies sous le poids des larmes sèches des derniers conquérants
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