• La Statue 10/10


    Visiter Sources était pour lui une curiosité intéressante. Mais il ne pourrait pas y séjourner longtemps. Il avait besoin de l'air de la mer, de la vue de l'horizon. Il avait besoin de sentir la violence du vent sur sa figure, de devoir parfois courber le dos pour pouvoir avancer malgré la force, la dureté de la nature.

    Il avait besoin d'être à un endroit favorable lorsque le vent, après avoir éloigné les nuages, laisserait le soleil tanner sa peau, ses oreilles écouter les vagues et deviner, malgré le bruit du roulis, un chant de sirène, la promesse d'un baiser, d'une traversée de la mer d'un seul coup de brasse.


    Il est ainsi. Tout en affirmant haut et fort son athéisme, il adore les veilles églises Romanes. Quelle merveille, l'art des hommes. Quel que soit le sujet qu'il utilise pour s'exprimer, quelle capacité de dépassement, donnant à la moindre pierre, à la moindre superstition un contenu, une force, puisées dans le génie de quelques uns.

    Mais toute la joie qu'il sent devant la beauté extérieure d'un chevet, devant un tympan décoré n'est rien comparée à l'exaltation d'une possible rencontre le lendemain, d'une nouvelle entreprise, d'écrire un nouveau poème, de se brûler encore les mains au feu de la vie.


    Il était vidé mais avait l'impression d'avoir mis les pièces d'un puzzle dans le bon ordre.

    Il avait compris le besoin de solitude, le besoin de distance. Pour pouvoir être en relation avec les autres, il faut être en pleine possession de soi.

    On ne gagne rien à ne pas être soi-même, à ne pas suivre une vocation, à trop craindre la difficulté et ses conséquences. Respecter des contraintes morales dans ses attitudes, dans son comportement, est une chose. Toute autre est de s'insérer dans un cadre prédéfini qui est toujours le résultat d'enjeux de société. Celui-ci est essentiellement du paraître, du factice. Peu d'authentique et peu d'éthique.


    Il avait aussi compris que toutes les blessures cicatrisent. Au delà de l'instant où elles se produisent, leur durée est celle que nous leur accordons. C'est de nous accrocher à la réalité antérieure qui les laisse saignantes trop longtemps.

    Et cela est le résultat de la peur de soi, de la peur de s'assumer indépendamment des autres. S'assumer seul non en niant les autres, mais avant même de les rencontrer, sans leur appui. La relation avec autrui n'est-elle pas plus forte, plus claire, lorsque chacun se tient sur ses jambes, maîtrise son corps et son âme?


    Pour survivre certains s'endurcissent des épreuves subies. Mais s'endurcir est perpétuer la crise, la rendre définitive. Lui sort des crises endolori, renforcé, non endurci.

    Il dépasse une situation une fois comprise, mais la possibilité de refaire les mêmes erreurs est entière. Cette possibilité de nouvelles souffrances est aussi la seule pouvant permettre de nouvelles joies.


    Le soleil chauffait de plus en plus. Il avait passé ses bras autour de la statue et appuyé sa tête sur son dos.

    La chaleur du granit le pénétrait,  parcourant ses veines, jusqu'au fond de lui-même. Ses bras se minéralisaient, s'intégraient au corps de la statue.

    Peut-être par un effet de lumière, les herbes environnantes lui paraissaient de plus en plus hautes. Elles les dépassaient, comme si la statue et lui rapetissaient.

    Il se sentait de plus en plus confondu avec elle, qu'il serrait toujours de ses bras. Il embrassait son dos, vibrant de sa chaleur, la laissant le pénétrer, le métamorphoser, réunir de plus en plus son corps avec le granit

    Sa tête se vidait comme si toute nouvelle pensée était déjà vaine, devenait impossible. Tout était dit.

    L'herbe était devenue gigantesque. Ils étaient entourés de grains de sable de leur taille. La statue et lui faisaient maintenant un seul corps, intimement uni.

    La brise de mer se remit à souffler, faisant danser les hautes herbes et, sur le méandre vide, mélangeant les grains de sable, anciens et nouveau, les uns aux autres.

    Le soleil ne fit aucun bruit en plongeant dans l'eau pour la nuit.

    C'était la fin d'une journée ordinaire.

    © Jorcas



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