• La Statue 2/ 10


    Au petit matin il partit vers la plage bien plus tôt que les jours précédents avec le désir de ne pas la rencontrer. Surtout de ne pas entendre ses commentaires, ne pas sentir ses regards qui semblaient vouloir pénétrer dans son intérieur et dévoiler un autre lui-même que celui qu'il percevait.


    Il reprit ses promenades toujours sur cette partie sauvage, précisément où l'eau, le sable et les herbes s'enroulent les uns sur les autres dessinant des figures étranges, toujours circulaires, la beauté et la particularité de chacune étant due à la forme que prenait chaque poche d'eau.

    Dans un de ces méandres, cachée par des massifs d'herbes, il découvrit une statue. Une femme, regardant la mer.


    Malgré les différences, avant même de les apercevoir, il a pensé à ce tableau qu'il connaissait bien, peint par Dali dans sa jeuneuse. Une jeune fille regardant au large par sa fenêtre.

    La vue, là, était différente. La mer, bien sûr, mais rien d'autre à l'horizon, le grand large. C'était l'Atlantique, pas la Méditerranée. Autour de la figure de la femme, des herbes sauvages, pas une fenêtre. Pas de vitres. Pas de rideau. Comme entourage, à la place de la maison, l'air changeant, tantôt brise de mer, tantôt sablé de terre.


    Il est resté longtemps à la contempler, sans bouger, à quelques mètres d'elle. Comment était-elle arrivée là, sur cette plage sauvage? Quel sculpteur, quel mécène avait eu l'idée de l'abandonner dans cet endroit caché, isolé, où personne ne devait venir jamais?

    Il s'imaginait être seul à la voir, seul à la connaître. Avant qu'il n'entre dans ce méandre, était-elle autre chose qu'un grain de sable? Pourtant ce dur et beau granit n'était pas une création de son imagination. Elle  existait avant lui, sans lui.


    La première surprise et une sorte de crainte étant passées, il s'est peu à peu approché d'elle pour la regarder de plus près. On ne pouvait pas voir sa tête, tant elle était proche du bord de l'eau, entourée par la mer même à marée basse, dans une petite avancée de sable et d'herbes dans l'eau marine.

    La mer dessinait de part et d'autre de petites plages tellement profondes et renfermées qu'elles se touchaient presque enfermant la statue dans une sorte de presqu'ile.


    Son dos était lisse. La pierre avait été taillée si finement qu'il était impossible de savoir si l'artiste l'avait voulue nue ou sous  un voile  délicat s'étendant sur tout son corps. 

    Ses cheveux relevés en chignon montraient un cou superbe, élancé, fin.


    Il était trop ébranlé pour réfléchir. Combien d'heures a-t-il passé à la regarder, son dos, le chignon découvrant le cou.


    Son regard revenait sans cesse sur la pierre comme pour apprendre chaque détail, pour graver  en lui  cette  figure  avant  de  l'analyser,  avant qu'une quelconque question ne surgisse sur ses lèvres.


    La lumière commençait à faiblir. Il ne s'était pas rendu compte du temps   qui   passait,   tellement   il était   absorbé   par   cette   vue surprenante.

    Au fond, le temps ne passait pas vraiment. Il s'est rappelé ces petits vers écrits il y avait longtemps:


    « Je ne comprends pas le temps qui passe,

     Je vis toujours le même instant, de plus en plus dense »


    C'était le cas. Il lui semblait que le moment où il était arrivé derrière la statue et le moment actuel, malgré l'évidence toute externe d'une lumière naissante et d'une lumière déclinante, étaient les mêmes, qu'aucune distance ne les séparait.


    Il devait rentrer. Pour la première fois depuis qu'il était arrivé dans le Méandre, il pensait à Elle. Il ne voulait pas la rencontrer. Surtout ne pas lui faire part de sa découverte. Garder le secret, gage d'un calme qui lui était nécessaire pour mieux connaître la statue.

    Il est parti en contre-sens, s'éloignant de Mirage par la plage pour revenir de loin par la route, comme s'il était parti faire une promenade vers une autre plage, vers un autre monde.


    Mais il n'a rencontré personne.

    Depuis son arrivée, il n'avait jamais été aussi heureux d'être seul, de ne pas montrer qu'il pensait à quelque chose, de ne pas s'entendre demander d'où il venait et où il avait passé la journée.

    Cette nuit, contrairement à la précédente, il dormit profondément, tout en voyant sans cesse dans son rêve le méandre avec sa statue.

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    © Jorcas



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