• La Statue 5/ 10


    Lorsque il déboucha sur la plage, le lendemain, Elle était déjà là, assise sur le sable tout près de la route, regardant le large, comme il l'aurai fait, bien sûr, pour l'attendre.

    Il se sentait comme un enfant pris en faute. Il avait tellement souhaité garder l'intimité de sa découverte, que de la voir s'évanouir lui faisait l'effet de dévoiler quelque chose d'intime. Il s'est surpris à se demander: Dois-je lui parler de la statue?, comme si Elle ne l'avait pas découverte. Elle faisait encore intrusion dans sa vie sans qu'il le souhaite. Cette solitude qu'il recherchait était encore une fois compromise.

    Cependant, quelque chose était changé. Elle-même, semblait plus calme, moins agressive, donnant de l'humour à ses traits qui auparavant étaient cassants.

    Pourtant, il s'était, plus que jamais, éloigné d'habitudes, de formes, d'attitudes qui auraient pu les rapprocher.

    Bien plus encore que le premier jour, ils pourraient suivre, peut-être des directions proches, mais leurs pas ne se confondraient pas. Elle prit les devants de ses pensées et de ses craintes.

    J'aurais voulu vous proposer de marcher jusqu'à ce Méandre à coté de la plage où je vous ai trouvé hier. Me répondrez-vous si je vous demande comment vous voyez cette statue? Que représente - t - elle pour vous? Pourquoi aujourd'hui ne vous livrez-vous pas?

    Il commença à marcher sans rien dire et Elle se leva pour marcher à coté de lui. Il se donnait le temps de réfléchir à l'attitude à adopter. Est-ce qu'il allait jouer un rôle, dissimuler ses pensées? Il n'avait pourtant rien à cacher. En quoi Elle ou quiconque pourrait influencer ce qu'il pensait de la statue, de cette complicité qui s'était établie entre la pierre et lui? Il décida, pour la première fois depuis longtemps, d'être ce qu'il était sans se soucier de savoir si cela correspondait ou non à son image, à ce que l'on pouvait espérer de lui.

    Il eut l'impression de marcher plus vite et plus légèrement. Il se voyait marcher seul sur cette plage, même si Elle marchait près de lui. Il avait conquis un sens d'existence. Il avait l'impression d'être une entité propre, complète, comme il ne l'avait jamais ressenti auparavant

    Nous voilà devant la statue. A se livrer comme Elle le lui demandait, à lui parler de ce qu'il  ressentait, il prendrait un risque. Que lui dire que le dernier psy venu n'ai pas déjà maintes fois décrit ?  Les choses dont il lui parle, dès l'instant où il les lui confie, ne changent pas de catégorie morale, même si leur aspect angoissant diminue pour lui. Mais en les écoutant, Elle les partage avec lui, contre son gré à elle et contre son gré à lui. Et en ce sens, lui parler lui donne un accès à son être le plus intime.

    Aucune sexualité ne réunit autant que le partage de ce que, jusqu'alors, était un secret personnel, exclusif, non dévoilé. Qu'est-elle pour lui cette statue?. La Vie, la possibilité, la capacité de survivre, de sortir d'une impasse du sort.

    Elle est une entité indépendante de lui, mais sur laquelle il reporte les images de ce qui lui paraît positif. Elle incarne la différence. Elle incarne aussi bien ce qu'il n'est pas en cet instant que ce à quoi il voudrait participer, s'adonner. Elle représente sa part de rêve.

    C'est un petit progrès de parler de votre folie. Enfin un peu plus que des paroles!

    Sa folie était seulement ce qui différait de son point de vue à elle. C'est ce qu'il construit avec une logique qui heurte la sienne.

    Ce n'est pas forcément déplaisant pour Elle, mais si contraire à ses habitudes mentales qu'elle ne peut l'admettre que comme déviation, comme une anomalie par rapport à la norme.

    C'est un monde dans lequel il n'est  pas seul. Regardez la folie de certains, peut-être de tous les artistes. Ils ouvrent des nouveaux champs de vision, de nouvelles interprétations du monde par leurs déviations par rapport à la norme du moment C'est souvent décrié, rejeté comme marginal, comme non acceptable. Cette marginalité est plus simple à comprendre que celle du clochard qui dort sous les ponts, mais pas nécessairement très différente dans leur première démarche. Dans les deux cas, elle est d'abord le refus du monde, de l'interprétation dominante du monde. L'artiste construit une nouvelle vision des choses dans laquelle il vit. Sa réussite est que cette vision soit un jour admise. Le clochard, lui, reste enfermé dans le refus, ne construit pas. Il ne vit que négativement.

    L'artiste garde parfois une partie de son cerveau de ce coté de la frontière et cela l'aide à être accepté en société! Dali est un cas d'école. Un fantastique génie de la peinture créant, devant une toile, grâce à une vision différente, très souvent délirante dans son interprétation du monde, hors du commun. Mais son amour tout aussi démesuré pour l'argent lui a gardé un pied parmi les « normaux », qu'il a d'ailleurs su exploiter avec presque autant de génie que pour, la peinture!

    Lui se situe entre les deux. Dans sa folie, il n'a pas la puissance créatrice du grand artiste, mais il ne se contente pas, comme le clochard, de simplement refuser le monde.

    Il rêve. Si cette statue n'était pas venue occuper mes pensées, il l'aurai rêvée!


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    © Jorcas



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