• Le chien de mon voisin

    -C’est votre chien ?

    -Oh ! non,

     

    Depuis qu’il s’était assis de l’autre coté du banc où je lisais, j’ai senti qu’il souhaitait engager la conversation, mais alors, parler du chien, cela n’avait aucun sens, je n’avais pas sur moi une laisse, ni une chaîne ou même une corde, quelle idée !

     

    -Non, non, ce chien n’est pas à moi ; j’ignore même s’il appartient à quelqu’un. Il a commencé à errer près du banc lorsque vous êtes arrivé, d’ailleurs !

     

    -Je ne voulais pas vous froisser, mais il m’a semblé qu’il revenait tout le temps auprès de vous. A bien regarder, j’aurais dû comprendre mon erreur d’estimation, car ce brave chien n’a rien qui fasse penser à vous, ce n’est pas votre style, votre profil et vous avez certainement remarqué que les chiens ressemblent à leurs maîtres.

     

    -Comment serait alors votre chien, si vous en aviez un ? Mais peut être en avez-vous un.

     

    -Non, je n’en ai plus, le mien m’a quitté, enfin, il a disparu il y a quelques mois et ni affiches ni offre de récompense ne m’ont permis de le récupérer. Au dire de tous, il me ressemblait ; Il était grand, avec un poil lisse et brillant et toujours de bonne humeur. Très sociable, comme moi ; Il s’approchait de tout le monde avec une allure de chiot joueur, pour plaire, puisqu’il ne pouvait pas parler. C’est certainement à la suite d’une de ces tentatives de conquête que quelqu’un se l’est approprié. C’est certainement cela, de lui-même il ne m’aurait jamais abandonné.

     

    -Ne lui prêtez-vous pas beaucoup de réflexion pour un chien ? C’est peut être son absence qui vous amène à enjoliver ses capacités ; Ce n’était qu’un chien, tout de même.

     

    -Je vois bien que vous n’avez jamais eu de chien ! Vous n’avez peut être jamais été un homme seul, peut-être que la compagnie d’un être vivant et soucieux de vous ne vous a jamais manqué. Moi si et seul mon chien m’a aidé à surmonter la tristesse de cet état. Lui m’offrait en permanence sa gaîté, son énergie. Il ne me laissait pas me pencher sur moi-même, tant il était en permanence exigeant, désireux de bouger, me poussant à sortir, à me promener, à venir dans ce parc.

    Je m’asseyais dans un des bancs qui entourent le grand parterre, un banc comme celui-ci et lui faisait des innombrables allées et venues, jouant dans le parc et vérifiant régulièrement que j’étais bien là et que je lui dirai quelques mots aimables à chaque approche.

     

    -Je vous demande pardon, je ne pouvais pas imaginer. Je comprends maintenant que voyant ce chien s’approcher de moi vous ayez pensé qu’il était à moi. Mais contrairement à vous, je ne suis pas un homme seul, je suis un homme solitaire ; Je ne cherche pas spécialement une compagnie, au contraire. Je viens ici presque tous les jours depuis quelques semaines pour lire mon journal ou un livre, pour réfléchir, parfois simplement pour me reposer d’une longue marche, mais sans chercher de la compagnie.

     

    -Je vous gène, donc !

     

    -Non, pas vraiment.

    J’ai été surpris lorsque vous m’avez parlé et il me semblait évident que vous vouliez entamer une conversation alors que moi je voulais lire tranquillement mon journal sans être troublé. Mais ce que vous me dites me dévoile des aspects de la vie que je ne soupçonnais pas. Je suis de toujours un peu ours et je ne me suis jamais trop préoccupé d’être en contact avec des êtres réels. Je lis les journaux, je donne de l’argent à des œuvres caritatives car les nouvelles m’apprennent qu’il y a partout des problèmes, ici et ailleurs, mais je n’ai jamais estimé nécessaire de m’impliquer autrement, de me lier personnellement avec un ami, ou une épouse, qui aurait ses propres visions de la vie, ses propres besoins. Non, je suis solidaire de tous les malheurs, mais je ne souhaite pas les partager autrement que par mon aide matérielle, de loin, sans contact physique.

     

    -Pour moi, ce que vous dites-là est terrible! Je ne peux pas vous concevoir autrement que malheureux. Peut être êtes vous aveugle vers votre intérieur ou votre cerveau est désensibilisé, dépourvu de quelques volutes pour moi vitales. Je crois que je mourrais si je devais m’astreindre à une telle forme de vie.

    Quel sens ont les autres personnes si on ne peut pas les approcher, les toucher, échanger avec elles quelques mots de joie ou de tristesse, peu importe, mais des mots chauds, maladroits certainement, mais sonores.

    L’argent peut aider certains à acheter  des choses, mais il ne remplit jamais un rôle de consolation, de partage. Tout être, avant même de manger, de se faire soigner, de se vêtir, tout être a besoin d’abord d’une caresse, d’un mot doux, d’un sourire d’amitié. D’un autre humain ou d’un chien, ou d’un chat.

     

    -Vous exagérez certainement. Je ne suis plus un jeune homme et je ne crois pas non plus être un homme unique ; Quantités d’autres personnes pensent et sentent certainement comme moi. D’ailleurs, vous avez beaucoup plus de gens qui donnent de l’argent à des œuvres que des gens qui vont caresser des malades ou bavarder avec des clochards à moitié déshabillés. Vous êtes comme vous êtes et je suis content de vous observer et de vous écouter ; C’est en quelque sorte une curiosité scientifique, mais ne vous croyez pas un modèle et encore moins représentatif d’une majorité.

    La vie serait trop compliquée si chacun devait s’entourer des malheurs des autres. Ce serait trop lourd.

     

    -Je crois, au contraire, que ce qui rend la vie compliquée est la solitude de chacun, son face à face avec ses malheurs sans un appui direct, concret, physique.

    Si vous aviez raison, tous les problèmes de l’humanité auraient été résolus depuis fort longtemps. De l’argent, il y en a toujours quelque part, mais pour les malheureux la capacité de le trouver, l’envie même de l’accepter ne peuvent réellement exister qu’avec l’appui d’une main chaude, d’un bon conseil, d’un regard souriant, d’un bras aidant à en supporter le poids.

     

    J’étais arrivé au terme de mon journal et j’avais trop entendu. Voilà que je me trouvais la cible de critiques, moi qui n’avais rien fait d’autre que de lire mon journal tranquillement assis, sans rien demander à personne.

    Je suis rentré chez moi, dans la seule intimité qui m’importe, celle avec moi-même, mais en tout cas ; c’est bien décidé : Jamais je n’aurai un chien, ni même un chat, quant à un ami, franchement, je n’en vois pas l’utilité.

    J’ai juste souscrit une police d’assurance obsèques pour que des mercenaires creusent ma tombe le moment venu et me portent en terre. Ce n’est  pas cher et c’est bien suffisant.

     

    © Jorcas


     


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