• Le couloir aux miroirs

     

    Je ne sais pas si l’on peut appeler cela un nuage. Je n’en ai jamais vu de vrai. Mais c’est le nom qui me venait en tête. Un nuage et j’étais à l’intérieur. J’allais et venais, je rencontrais des gens qui sortaient des brumes comme des tournants du chemin.

     

    Elle me dit bonjour dès qu’elle m’aperçut et me demanda si je me rappelais d’elle.

    Non, sa tête ne me disait rien. Ou plutôt si, mais je ne sais pas quoi. Peut être ressemblait-elle à quelqu’un d’autre que j’aurais connu et presque oublié.

     

    Nous sommes de la même famille, me dit-elle. Ta mère et ma mère étaient de la même famille. Peut être de sœurs, je ne sais plus très bien. Et toi et moi nous nous sommes rencontrés à cause de ça. Je t’ai tout appris à l’époque, car tu venais de loin et tu ne savais pas grand chose.

     

    Je ne savais pas plus aujourd’hui. J’ai certainement oublié. Ce n’est pas possible que quelque chose soit vrai pour elle, avec moi et que ce ne soit pas vrai pour moi. C’est certainement ma mémoire qui me fait des tours.

     

    J’ai t’ai pris par la main, m’a-t-elle encore dit, et je t’ai conduit par le petit couloir, derrière la cuisine et la pile d’eau où l’eau qui venait de loin, comme toi, coulait sans cesse, sans robinet, à même le tuyau qui venait de loin.

    Puis je t’ai montré comment était la vie, comment chantaient les oiseaux, comment on regardait le ciel qui était parfois bleu même en hiver. Une fois tu as eu peur et tu t’es sauvé. Tu avais toujours peur de ce que tu ne comprenais pas bien.

     

    Je crois que je n’ai pas changé. J’ai toujours un peu peur, mais un peu seulement, de ce que je ne connais pas encore, de ce que je n’ai pas appris. Peut être en a-t-il été ainsi, et tu m’as appris ce que je ne savais pas et que j’ai oublié depuis. Ou alors, j’ai vécu tellement loin qu’il me faudra beaucoup de temps pour aller chercher ces souvenirs et les réapprendre.

     

    Je ne sais pas quant tu es parti. Je ne sais pas pourquoi. Un jour, j’ai été te chercher dans le champ de blé où tu vivais et il n’y avait plus rien. Plus d’épis, de ces épis que tu aimais manger vertes avec un peu de sel et d’huile. Plus d’eau à la petite fontaine au bord de la route où tu me racontais des histoires  de là-bas au loin, d’où tu venais et que tu ne voulais pas oublier parce que tu ne les voyais plus.

     

    Je ne sais plus où était ce champ. Je sais que la route tournait un peu plus loin que la gare et que c’était devenu chez moi. Il n’était pas comme les souvenirs que j’avais d’avant, mais je ne savais plus aller dans mon avant. Ce champ m’a plu et je m’y suis installé.

    Alors, c’est toi qui es venue me chercher un jour, qui m’a pris par la main pour me montrer le chemin de l’autre coté ? Celui qui montait sur la petite colline où on n’avait pas le droit d’aller ?

    Je ne savais plus comment tu étais. Je me rappelle d’une robe ou d’un habit. Je me rappelle d’une course folle, rapide, quelque part. Mais je ne sais pas pourquoi. Puis je suis parti ailleurs.

    Un train, peut être, en hiver, juste après noël. Beaucoup de neige. Je ne l’aimais pas. Le train bloqué par la neige. Je suis resté longtemps dans ce train qui n’avait pas assez de force pour chasser la neige et qui devait attendre que l’on vienne le chercher.

     

    Moi aussi, on est venu me chercher et je suis parti par un sentier  avec d’autres fleurs, d’autres odeurs, d’autres bruits. Je ne sais pas si j’ai jamais rencontré quelqu’un. Parfois je crois que je n’ai jamais vu personne d’autre que moi-même, comme si je marchais dans un couloir fait de miroirs.

    Il y avait un comme ça dans la fête foraine qui s’installait tous les ans au mois d’août. Un long couloir où on se voyait tantôt maigre et grand, tantôt petit et gras. Laid toujours. J’allais vite, mais je ne sais pas si j’aurais su sortir. Quelqu’un m’a peut être aidé.

     

    Et aujourd’hui, que feras tu ?

     

    Je ne sais pas. J’en ai assez de ces couloirs à miroirs où chacun ne voit que lui-même tellement déformé qu’il ne sait plus s’imaginer tel qu’il est. Je crois que je vais parcourir encore le monde, visiter des pays que je ne connais pas, m’asseoir auprès des chênes, mes arbres préférés,  pour noter mes souvenirs que je ne lirais pas après. Et regarder voler les oiseaux, regarder jouer les enfants, énumérer les couleurs des pétales des fleurs, les regarder toutes et n’en cueillir aucune, les laisser vivre. Je crois que je vais inventer un nuage auquel j’inviterai tous ceux qui voudront venir faire un tour dans mon rêve, porté par les vents au hasard, sans rien demander à personne. Je vais sourire et chanter sous mon chêne imaginaire.

     

    © Jorcas

     

     


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