• Maud

     

    Des cailloux, des arbres d’un tas d’espèces dont j’oublie tout le temps le nom. Ce n’est pas possible d’être aussi tête en l’air. C’est l’énième fois que je reprends ce texte avec l’intention de l’améliorer. Mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire.

    Au départ, je voulais raconter une histoire à trois personnages, deux qui ne se connaissaient pas bien mais étaient en bon chemin pour y parvenir et le troisième qui était une sorte de clochard philosophe qui leur servait en même temps de point de rencontre et de repoussoir.  Rien de très nouveau.

    Chaque jour je revenais un peu sur l’affaire, pour ajouter quelques phrases. Tout un  chapitre les jours d’inspiration. Changer quelques mots seulement les jours sans. Mais la mayonnaise ne prenait pas à mon goût.

    Lorsqu’elle m’a téléphoné j’étais dans un jour sans. Furieux de constater une fois de plus que je n’étais pas le génie que j’aurais voulu être. Que les mots ne me venaient pas si facilement que ça. Que même en travaillant des heures, le résultat n’était pas à la hauteur.

     

    Oui ! Qui est à l’appareil ?

     

    Pas très accueillant, l’écrivaillon, dites donc ! Bonjour quand même. C’est Maud.

     

    Maud ? Quelle Maud ? Je n’en connais aucune !

     

    Vous, alors, quel ronchon ! Et tout ce que vous écrivez sur moi ? Et vos élucubrations sur ma façon d’être, sur ma vie, sur mon amour possible pour votre nigaud de personnage, le Félix en question ? Vous n’y êtes toujours pas ?

     

    Mais, mais….Cette Maud là est un personnage de  l’histoire que je suis en train d’écrire! Qui vous a parlé de ça ? Qui a pu lire mon travail, qui n’est pas encore publié ? Qui êtes vous ?

     

    Je suis Maud. Venez me chercher à la gare d’Austerlitz et je vous donnerai la réponse à toutes vos questions. Mais laissez-moi vous dire que je vous trouve bien ingrat et bien sauvage. Vous créez un personnage et ensuite vous le traitez par le mépris.
    Allez, cessez de faire le rustre et venez me chercher. J’ai faim. Je vous attends à la porte des arrivées. Vous me reconnaitrez du premier coup d’œil. En fin de compte je suis votre créature !

     

    J’ai posé le téléphone et je me suis servi un grand verre d’eau. D’abord parce que ça m’énerve, tous ces gens qui font boire un whisky ou équivalent à leurs personnages dès qu’ils ont une contrariété. Et j’ai horreur du whisky. Ensuite parce que j’avais besoin de me calmer et non de m’exciter. J’ai beau passer mon temps à écrire des loufoqueries, ça ne m’était jamais arrivé qu’un personnage prenne son indépendance sans que je l’aie décidé ! Et encore moins qu’il m’interpelle avec autant de désinvolture.

    Le verre avalé je me suis dit que si j’étais capable d’écrire tant de choses invraisemblables sans que cela affecte ma santé mentale, du moins en apparence, je ne courrais aucun risque à faire semblant de croire que de l’invraisemblable pouvait arriver. Ça me ferai prendre l’air de faire un tour jusqu’à la gare d’Austerlitz.

     

    Maud était tout à fait comme je l’avais décrite dans mon brouillon de nouvelle. 1m75, brune, avec des cheveux  courts. Tête plutôt allongée, un nez pas trop long et fin, et des yeux noirs. Un menton volontaire, légèrement marqué, mais non saillant et des lèvres tout à fait nature, sans rafistolage. 

    Allure sportive, un corps sans aucune exagération, pas de graisse, pas de jambes fluettes.

    Cette femme là, je ne l’avais pas inventée. Je l’avais vu dans un aéroport suivant de mauvaise grâce un crétin de mari prétentieux et je m’étais servi pour décrire mon personnage.

    Mais de là à la revoir à la porte des arrivées de la gare, m’attendant, me faisant un geste de la main dès qu’elle m’a vu, dès qu’elle a vu ma voiture ! J’aurais du emporter un thermos avec pas mal d’eau fraiche !

     

    Bonjour encore, cher Créateur ! Je vous plais ?

     

    Pour être désinvolte, elle était désinvolte. Je ne me souvenais pas de lui avoir donné un tel caractère, mais tout le monde sait que ses enfants ne sont jamais comme on pense les avoir éduqué.

     

    Bonjour Maud. Enchanté de faire votre connaissance en chair et en os. Vous me faites découvrir une facette de moi-même que j’ignorais. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais c’est un événement  auquel je ne peux pas me soustraire. Et pour un écrivaillon, faire connaissance à la porte d’une gare d’un de ses personnages, c’est peut être mieux que le Goncourt !

     

    Je suis sûr que vous êtes en train de penser que maintenant je vais dire que je tombe du lit, que je me réveille, que je reviens au monde des gens normaux, ou que je vais directement à l’asile ! Eh bien vous vous trompez, rien de tout cela. Maud est bien là, assisse à coté de moi dans ma voiture et il n’y a pas de chute facile et idiote à cette histoire que je vous raconte.

     

    Nous avons un peu parlé pendant le trajet, mais pas sur le seul sujet qui trottait dans ma tête : comment était-ce arrivé ? Maud était drôle,  bavassant  un peu de tout, admirative de tout, comme si elle venait à Paris pour la première fois. C’était peut être le cas.

     

    A la  maison, elle ne m’a pas laissé porter sa valise. Pas bien grande, m’a-t-elle fait remarquer, malgré le coté définitif de son voyage.

     

    Pourquoi définitif, Maud ? Que voulez-vous dire ? Et me direz vous aussi qui êtes vous réellement  et comment avez vous eu connaissance de ma nouvelle ?

     

    Je commence par le plus simple. Je suis Maud, celle que vous avez crée. Un écrivain ne doit pas avoir de doutes sur la possibilité de devenir réel d’un de ses personnages. Ça arrive tout le temps bien que les journaux n’en parlent  pas. Par peur de ne pas être crus par des gens déformés par leur éducation rationnelle et moutonnière.

    Je suis là définitivement. J’ai une petite valise mais nous choisirons ensemble, peu à peu, toute ma garde-robe future. Vous gagnez bien assez d’argent pour me l’offrir.

    Enfin, je suis là parce que je vous ai choisi. J’ai décidé de devenir votre femme et de vous faire changer de statut. Mon créateur, ça suffit. On sait, on oublie maintenant. Dès cet instant, vous êtes mon compagnon, mon homme, mon chéri. Vous ne croyez tout de même pas que je vais me contenter de cet idiot de Félix, dont je n’avais pas la moindre intention, malgré vos tentatives, de tomber amoureuse. Voilà tout.

     

    Cette fois c’est le robinet tout entier que je devais boire pour me remettre à l’endroit.

     

    Mais Maud, même si vous n’êtes pas un mirage. Surtout si vous n’êtes pas un mirage, nous deux ensemble c’est impossible. Je suis marié, j’ai des enfants, une femme jalouse à point ! Non, ma chérie, c’est impossible et je ne me vois pas en bigame !

     

    Mon amour, vous m’attristez, comme dirait un de vos personnages un peu fine fleur. Vous êtes un écrivain, un inventeur, un rêveur. Vous savez habiter des mondes différents, nouveaux, inconnus du commun des mortels  avant que vous ne les ayez décrits. Eh bien, en voilà un de ceux là. Vous lui donnerez un nom, si vous voulez. Vous êtes bon pour ça. Pour le reste, les rôles sont maintenant inverses. Vous êtes à moi, un point c’est tout. Faites vous –en une raison et n’en parlons plus. Nous avons toute une vie à inventer et à vivre.

     

     

    Le coup était rude. J’ai même failli laisser tomber l’eau pour plonger dans le whisky ou le gin. Est-ce que je traitais ainsi mes personnages ? Etaient-ils seulement le résultat de mes caprices, des mes états d’âme du moment, de mes lubies ? J’avais le sentiment, au contraire, d’être un faible, de passer mon temps à me demander comment ils auraient voulu être.

    Mais surtout je ne voyais pas de parade disponible. Déchirer ma petite nouvelle à moitié écrite ne servirai certainement à rien. Et la Maud qui était là n’avait pas du tout l’air d’être en papier ni de se laisser faire facilement.

     

    Allez mon chéri, habille-toi et n’oublie pas ta carte bancaire, je n’ai pas grand chose à me mettre !

     

    Je ne me sentais pas la force de dire non. Et avec quels arguments ? J’avais, c’était le pire, un sentiment mêlé de déjà vu et de fatalité.

    En rentrant des courses il faudrait que je regarde à quelle date était la nouvelle lune. Qui sait.

     

    ©Jorcas

     

     


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