• Mercedes

     

    Le petit avion se mit en ligne, face à la piste.

    C’est ça, la piste ? Mais elle n’est même pas droite ! Comment tu vas faire ? 

    C’est embêtant  si on ne le sait pas, mais une Cesna comme celle-ci, ça se pose sur un arbre, alors une piste pas trop droite, ce n’est pas un problème. Tient toi tranquille, je vais te faire un modèle d’atterrissage en douceur ! 

     

    N’empêche que j’étais content de descendre, une fois que nous nous sommes arrêtés à coté de la baraque mal soignée de l’aérodrome de campagne.

    A cette époque de l’année, pas une goutte de pluie. La terre est brique, l’herbe marron et les animaux maigres.

    C’était la raison de notre voyage : aller chercher des points d’eau qui n’étant pas encore secs, voyaient défiler tous les animaux sauvages du coin, surtout à la tombée de la nuit.

    Je voulais des photos pour une revue  qui depuis quelque temps publiait mes folies biscornues, en échange de petits reportages gnangnan et des photos des paysages et animaux du Llano.

    Le « baquiano » qui devait nous guider, un « zambo » au sourire permanent, nous attendait à l’intérieur. Il voulait nous préparer à l’aventure.

     

    Nous préparer, vous faites du cinéma. Depuis le temps qu’on photographie des animaux, on est habitué à poster bien placés et à cadrer les appareils à temps. On sait qu’on a peu de temps pour les prendre avant que la nuit tombe. 

     

    Je ne vous parle pas de votre métier, mais de ce qu’on va rencontrer. Si vous voulez faire de bonnes photos, il faut que vous ne soyez pas surpris, ou alors, vous raterez les meilleures.

    Je vais vous conduire à un point d’eau que résiste toute la période sèche, jusqu’aux  pluies suivantes.

    Pas loin d’ici, il y a quelques années, une femme du pays était partie se baigner dans la rivière. Nue et belle, elle ne faisait attention à rien, même au paysan qui, caché derrière les hautes herbes la regardait se baigner. C’est lui qui nous a raconté après comment le grand  Cayman l’a surprise. Elle est partie avec lui au fond de la rivière et on ne l’a plus jamais vue.

     

    Maintenant, à la saison sèche, la rivière s’efface peu à peu et il ne reste que cette mare, qui tous les après-midi donne à boire aux animaux de la forêt. Lorsque la nuit s’approche, un bruit, comme une chanson, sort du centre de la mare pour prévenir les animaux que le grand Cayman va faire sa promenade et pourrait avaler tous ceux qu’il rencontrera sur son chemin. Alors, les animaux s’en vont et sur les bords, se promène  seul  un Cayman avec de longs cheveux qui trainent sur son corps et des yeux amande qui pleurent, pleurent, comme un petit enfant apeuré.

    On n’a jamais su si c’est celui qui avait pris la femme pour la conduire au fond de la rivière ou leur enfant, qui a le corps de son père et les cheveux et les yeux de sa mère.

    On l’a appelé de son nom à elle : Mercedes

     

    (Mercedes est une chanson de l’auteur-compositeur vénézuélien Simon Diaz)

    © Jorcas

     

     


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