• Messagerie électronique

     

    Sonnerie de l’alarme de communication de la messagerie. Quelqu’un cherche à me joindre.

    Je ne suis pas très à jour dans son fonctionnement. Je n’aime pas ce système, mais comment faire. Il me faut bien tester tous les moyens de communiquer avec l’extérieur.

    L’extérieur c’est ce qu’il y a au-delà des murs de ma chambre.
    Pas une prison au sens formel. Une chambre ordinaire.

    Je n’ai aucune raison d’être enfermé là. Je veux dire, aucune raison physique. La porte est ouverte et il n’y a pas de verrou. Les fenêtres donnent sur la grande avenue. Pas de gardien, pas de surveillant. Que les murs.

    Et moi. Et mes pensées. Et mon ordinateur avec la page du journal à la date du moment. Je devrais écrire. Je devrais tout dire. Et je ne peux pas.

    C’est moi-même qui m’enferme. Je suis le plus dur garde-chiourme qui se puisse concevoir.

    Et je n’ai qu’un prisonnier à garder. Moi.

     

    Je n’ai pas conscience de m’être échappé de nulle part. Je n’ai rien volé, je n’ai violé personne. Je n’ai jamais fait autre chose qu’écrire.

    Mes livres se vendent correctement. Enfin, ils se vendent assez pour que je me disse qu’il y a quelques lecteurs qui aiment. Economiquement c’est une ruine. Je ne retrouve même pas le prix du papier sur lequel je fais mes tirages. Mais je ne m’attendais pas à passer à l’histoire. Et je ne sais pas faire autre chose.

    Un jour, j’ai reçu une lettre d’un lecteur. Il avait lu tout ce que j’avais publié. Il connaissait mes opus mieux que moi. Il me mettait au défi d’écrire une suite à trois de mes meilleurs textes  avec la contrainte de faire de lui le nouveau personnage central de l’histoire. A moi de me débrouiller pour le porter progressivement au cœur du récit.

    Il ne me donnait pas d’adresse postale pour lui répondre. Ni de téléphone. Juste une adresse de messagerie électronique par laquelle nous pourrions être en contact permanent.

    Je pourrais lui soumettre le moindre doute que j’aurais sur lui, pour pouvoir faire un personnage vraisemblable et aussi réel que possible.

     

    J’ai trouvé le défi magnifique. Je ne savais rien de lui, mais en communiquant j’aurai peu à peu des bribes. Et je devinerais le reste. Ou je l’inventerai. J’ai accepté.

    Pas une seconde à perdre. C’est mon défaut : Lorsque je me lance dans une tâche, je ne sais pas la moduler. Je m’y enfonce sans trop y réfléchir, cœur et âme jusqu’à ce qu’il en sorte quelque chose d’acceptable. Quelque chose que je puisse lire sans l’effacer entièrement et tout reprendre à zéro.

     

    Je me suis vite trouvé confronté à des problèmes que je n‘avais pas envisagé. Les conversations électroniques me donnaient la matière pour cerner sa personnalité. Je le voyais de plus en plus clairement, avec ses qualités et ses défauts, avec ses facettes glorieuses et ses points d’ombre. Il ne se dévoilait pas. Je le devinais tel qu’il était derrière ses mots.

    La première difficulté était là. Est-ce que je devais écrire ce que je voyais ? Tout travestir ?  Je me rappelais de Zola traitant un de ses personnages  de peintre condamné à l’échec et perdant du coup l’amitié de Cézanne !

    J’essayais de le faire changer d’avis, de me relever de l’obligation que j’avais accepté, de ne plus me lire et surtout de ne plus me demander d’écrire pour lui.

    Peine perdue.

     

    J’ai rapproché mon bureau d’un des murs, le plus éloigné de la fenêtre. La lumière y arrive tamisée et cela devrait m’aider à me concentrer. Sur mes textes, bien sur. Sur la manière de m’en sortir aussi.

    Je cumule deux défauts : Un peu lâche. Je n’aime pas faire brutalement front à une situation désagréable. On dit que l’on est au mieux lorsqu’on est contre les cordes. Mais c’est seulement parce que la fuite n’est plus possible et il faut réagir. Consolation : Il y a des personnalités  qui se bloquent dans l’incapacité de faire face aux situations de la vie et, même contre les cordes, ne réagissent pas.  Ce sont des morts vivants. Ce n’est pas mon cas.

    Le deuxième défaut est une sensiblerie excessive. Je n’aime pas faire mal et je vais chercher tous les moyens de l’éviter. Et du coup retarder des décisions que de toute façon il faut prendre. A la fin on fait plus de mal.

     

    Un jour il a disparu de mon écran. Pas de réponse à mes messages. Rien malgré les relances. Il est parti comme il était venu, sans me demander mon avis. Sans prévenir.

    Je suis sorti de ma prison, mais pas comme un ancien prisonnier libéré, mais à sa recherche. Impossible de me passer de lui. Je m’étais fait la belle pour tenter de le retrouver.  Je n’ai pas réussi.

    En souvenir de lui j’ai écrit une petite nouvelle avec notre aventure.

    J’ai changé un peu l’histoire. J’ai reconnu ses qualités ; il m’avait donné des idées pour rédiger mon travail et elles étaient bonnes. Il aurait tout à fait pu le faire lui-même, sans moi.

    Pour la première fois, j’ai vendu un grand nombre d’exemplaires. Des critiques ont cru voir en moi un véritable écrivain.

    S’ils savaient d’où me venait l’inspiration !

    Mais je suis toujours un peu lâche. Dans les interviews que j’ai accordées, je n’ai rien dit.

     

    © Jorcas

     

     


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