• Naufragé

     

    Je vis dans une ile. Une vraie, perdue au milieu d’une mer sans limites, sans d’autre terre à l’horizon.

    Je ne sais pas comment je suis arrivé là. Quel a été mon naufrage : un bateau perdu ? Un avion dérouté et sans kérosène ? Mon imagination ?

     

    Pour le moment, j’ai beau la parcourir, la fouiller, pas de Vendredi. Je ne peux pas penser que je me suis mis, en rêve, dans la peau de ce brave Robinson.

    Toujours est-il que j’en suis là.

     

    Quelle sensation ? Je suis ma frontière, ma seule frontière. Ça a du bon, mais c’est aussi très pauvre. Pas de contradiction, pas de bruit de pas, pas de baiser non plus.

     

    Lorsque je me suis rendu compte de cette situation, j’ai eu d’abord les réactions normales du naufragé. J’ai allumé des feux, j’ai écrit des S.O.S. sur le sable avec tout ce que j’ai trouvé alentour. J’ai vu assez de films sur la question pour en connaître le B à Ba. Une sorte de reflet : naufrage égal ile égal au-secours !

    Et une fois tout en place, je ne suis pas plus avancé.

     

    L’avantage des films est que le scénario est écrit complet, du début jusqu’à la fin. Voilà les deux bouts qui me manquent : je ne sais pas comment cela a commencé et je ne sais pas comment cela finira.

    Naturellement optimiste, je suppose  que je vais m’en tirer vivant. Il se produira bien un fait que je ne peux pas décrire aujourd’hui qui me fera revenir au monde des Autres. Peut être tout simplement le mouvement des plaques tectoniques rapprochera mon ile d’une terre pour le moment invisible.

     

    Deuxième difficulté : Comme je n’avais pas prévu l’affaire je n’ai pas apporté avec moi le moindre block de papier ni de crayon. Je suis obligé d’écrire sur le sable. Je m’éloigne du bord de mer, mais il y a le vent. Je ne sais pas ce qu’il en restera, jour après jour, comme souvenir de mon passage. Vous n’en saurez peut être jamais rien de moi.

     

    Il y a bien autour de moi la mer. J’ai toujours été amoureux d’elle. Mais maintenant je sature un peu. La mer était d’autant plus belle que je pouvais la quitter. Je pouvais l’entendre et rester dans ma cabane sans la voir. Maintenant qu’elle est devant et derrière moi sans arrêt, sans échappatoire, je me pose la question de mon amour. Est-il toujours aussi grand ? Qu’en restera-t-il au terme d’un temps que je ne peux pas estimer ? Après avoir été fou d’elle, deviendrais-je fou à cause d’elle ?

     

    Voilà. Cela fait un moment que ça dure. J’ai écrit tout ceci pour me le dire à moi-même, pour prendre conscience de ma réalité. Bien que cela ne me mène nulle part. Je me demande si je ne devrais pas tout effacer. Dans une ile comme celle-ci, n’est-ce pas mieux de ne pas savoir, de ne pas douter, de  ne pas questionner ?

     

    Je n’ai plus qu’un vague souvenir des Autres. Sont-ils comme le soleil, présents dans la journée, disparus la nuit ? Sont-ils aussi chauds mais aussi silencieux ? Suivent-ils leur chemin sans la moindre entorse, sans le moindre geste pour vous faire savoir qu’ils savent que vous êtes là ?

     

    J’aurai bien mis tout cela dans une bouteille que j’aurai jetée à la mer. Pas de papier, je l’ai déjà dit et pas de bouteille. Je me mets chaque jour à un bord de mon ile et je récite toute cette histoire, que j’ai apprise par cœur.

    Dans ma jeuneuse j’aimais bien une chanson qui encourageait un vagabond à chanter sa misère que l’air porterai peut être jusqu’au village où son amour l’attendait.

     

    Après je m’assois sous le vent et j’attends je ne sais pas quoi. Je ne peux pas appeler un miracle, qui n’aurait pas beaucoup de possibilité dans ma solitude. Peut être que la bulle de savon éclate et je me retrouve dans mon salon. Où que le vent l’emporte au-delà. Quelque part où la terre n’aurait pas de fin. Je pourrais marcher chaque jour un peu en attendant de trouver un Autre. Ou de me trouver moi-même.

    Je laisserai des traces tout au long de ma marche pour que quelqu’un d’inimaginable puise un jour les suivre et me trouver. C’est lui qui vous contera mon histoire.

     

    © Jorcas

     

     


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