• Sans titre

    Voilà quelque chose qui commence de manière brumeuse. Comme ma tête en ce moment, que voulez-vous.

    Ca part d’une bonne intention : J’ai envie, j’ai besoin d’écrire quelque chose, de me dire : oui, mon petit, tu es encore vivant, ta cervelle n’est pas entièrement liquéfiée, la preuve, voici une petite histoire qui va sortir du néant par ta simple volonté, faute d’idée géniale préalable et reconnue comme telle.

     

    Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai. Je me force, depuis un bon moment, à lire les petits textes que publie un hebdomadaire, signés par des écrivains reconnus. Ou du moins, ayant déjà publié plusieurs choses. Des petits textes sur commande, pas trop longs, deux ou trois pages format hebdo, au goût et au gré du signataire.

    Eh bien! C’est encourageant, car à une ou peut être deux exceptions près, j’arrive à la fin avec la même soif qu’au début et sans sentir le moindre chatouillement qui pourrait me laisser penser que la lecture en question m’a apporté quelque chose, même si je ne m’en aperçois pas tout de suite.

    Je ne veux pas vraiment dire que je suis capable d’en faire autant, quoique. Vérifions !

    Je me demande si mon problème, la difficulté que j’éprouve parfois à écrire n’est pas due à ce que je place la barre un peu haut.

    Non que ce soit une mauvaise chose ; Qu’il s’agisse d’un écrivain encore secret et inconnu comme moi ou un artiste consacré et recherché, placer pour soi-même la barre très haut, sans se laisser aller à la moindre peccadille est une nécessité, une bonne chose pour soi et certainement bien plus pour les autres, pour les pauvres lecteurs, obligés d’ingérer parfois un amer jus d’alphabet dévitaminé pour se retrouver assis sur le même caillou qu’au départ.

    Donc, mon truc n’est pas tout à fait gratuit et on pourrait même me soupçonner de cacher, derrière l’introduction pleurnicharde, un petit sentiment de supériorité sur ces histoires textuelles. Alors, essayons de passer la barre, déjà dans un premier temps avec un contenu qui ne soit pas, à mon tour, une soupe insipide de la même eau que celle que je brocarde.

     

    Je me suis cependant engagé au départ avec un « sans titre » qui m’oblige et me conditionne.

    C’est un effet de ma franchise et de mon infantilisme ; Tous les conseils pour écrivains en herbe vous rabâchent: ne commencez pas par le titre, ne donnez pas un nom à votre truc avant de l’avoir fini. Vous trouverez alors les mots les plus représentatifs, les plus succulents dont la succion avec plaisir par le lecteur est le tremplin pour le succès.

    Je m’envole, en quelque sorte, sans filet ni filin qui puisse m’éviter un crash violent, alors que non seulement je manque de titre, mais même de sujet.

    Mais si j’avais marqué Sans Sujet en tant que titre, vous ne seriez même pas arrivés jusqu’ici.
    Et puis, j’aime bien laisser un peu de suspense, faire participer le lecteur à une sorte de jeu interactif bidon, le poussant à deviner de quoi il pourrait s’agir et donc le faire participer à mon bourrage de ligne.

     

    Mon sujet, tel qu’il commence à se dégager, vous l’avez certainement déjà aperçu, navigue entre deux récifs dangereux: D’un coté, l’angoisse existentielle de l’écrivaillon que l’on nomme de la page blanche. Ca vous connaissez. De l’autre, sous couleur de dire : Certains écrivent n’importe quoi, de se perdre dans la critique, jamais nette d’un peu de jalousie d’autres plumitifs, autant que des lecteurs ou lecto-consommateurs qui attendent trop en nombre et trop en contenu de ces pauvres proto-vedettes, obligés de se saigner le cervelet pour maintenir un minimum de présence, sans laquelle, ils se dissolvent progressivement.

    Je ne sais plus combien de textes sont publiés annuellement dans un petit pays comme le nôtre ; Mais surtout, je ne sais pas combien de ces textes résultent de la volonté vraie du manieur artisanal de plume et combien sont des produits industriels, destinés tout juste à faire passer le temps aux voyageurs du Métro sans leur faire perdre la raison ni rater leur station.

     

    Je suis donc au bord du précipice, je me passe le nœud coulant au cou avec cette histoire de sans titre. Dois-je continuer à avancer vaillamment, les yeux bandés et le nez en l’air ou dois-je céder à l’appel du panier aussi attrayant, aussi traître parfois que les sirènes d’Ulysse ?

    Remarquez que, ici, avec une falaise qui se profile devant l’écrivain marcheur, j’ai de quoi dérouler un long passage entre la possibilité d’une chute imminente et celle de le voir enfin s’envoler, avec ses petites ailes collées à la cire, comme l’autre, à la recherche de quelque chose à dire enfin, sans s’approcher de trop du Soleil des écrivains pour ne pas finir en petit Grec.

    Je vois déjà l’enfilade de qualificatifs que je pourrais placer là, sur la falaise abrupte, sur la couleur des roches saillantes prolongées par de vieilles branches sèches, cassantes pour celui qui croit pouvoir s’y accrocher pour ralentir sa chute ! Je peux même vous décrire en fin de dégringolade une mer bleue, malheureusement glaciale et envahie de récifs coupants.  Bref, le bonhomme on le trucide d’une manière ou d’une autre, selon votre goût.

    Vous avez entendu parler des récits à tiroirs ?  En fait c’est cela, on vous met à disposition pour le même prix plusieurs développements,  tant qu’à faire, plus saignants les uns que les autres et vous choisissez celui qui a votre préférence. En somme, vous devenez complice sans l’avoir demandé et ayant payé pour en être.

    Donc, je vous évite ça aussi.

    Pas de tiroirs, mais une ligne ni limpide ni réellement droite, tracée de ma petite main esseulée, entre les deux périls à éviter: Celui de la page blanche salie, sans sens, bien que pleine de gribouillis  et celui de la critique de ce que font d’autres et que je saurai mieux faire.

     

    Foin de couardises, avançons vers la chose non nommée.

    Je vous disais tout à l’heure que je cherchais à faire sortir du vide, par un simple effort de volonté, quelque chose. Ce n’est pas tout à fait exact, l’affaire du vide. Sans aucune prétention, j’écris en m’appuyant sur ce que ma mémoire accumule depuis des années-livres et plus encore des réflexions, des positions, des idées que les apports des autres m’inspirent. Je le fais en pensant que cela peut être utile à quelqu’un.

    A moi, déjà, en m’obligeant à fixer sur le papier des choses, des idées, au sujet desquelles je ne pourrais plus dire que je flotte encore, que j’évalue, que je soupèse. A quoi m’aurait donc servi l’expérience, en plus des lectures, si je n’étais pas même capable d’avoir des points de vue personnels, des opinions, au minimum des suggestions!

     

    Ecrivaillon que je suis, j’ai toujours un sujet en tréfonds de tout texte : L’écriture. Elle est l’Alpha et l’Omega de mon existence. Cela n’a pas toujours été ainsi, mais dès que l’on enfourche ce cheval, impossible d’en descendre, il faut trotter.

    Ecrire, donc, pour les artisans de ma corporation est un but en soi, une respiration vitale, le moteur du sang qui autrement s’arrêterait de couler et nous laisserait morts débout sur le seuil de nos cabanes misérables.

    Ecrire n’est pas seulement un but en soi, mais c’est déjà un contenu. Les mots, bien sûr et si possible bien ciselés et bien alignés, mais des mots qui s’échappent des dictionnaires, imprégnés qu’ils sont, enduits de chacun de nous-mêmes, emplis de nos secrets comme de nos cris, de nos joies comme de nos peines, de nos vanités comme de nos incompréhensions.

    Puis, ils s’adressent toujours à quelqu’un, à un inconnu même s’il est ami, parent, voisin. Inconnu car c’est toujours une sorte d’agression, d’entrée par surprise chez lui, que de lui faire partager par la lecture quelque chose dont il devient co-auteur sans le vouloir. Vous ne mesurez pas la gravité de l’acte qui consiste, pour vous, de prendre connaissance de l’écrit d’autrui !

     

    Je reviens à mon Sans titre. Mon vide, d’où s’échappent des vapeurs de formes changeantes au gré des regards, de la proximité et de la technicité de celui qui veut en déterminer la composition. Ce vide est une soupe essentielle, un magma où mijotent tant et tant de concepts, d’idées glanées ici ou là, dans mon cas, sans ordre préétabli ; Des expériences, des joies et des amertumes, résidus de mes balbutiements permanents pour tenter de vérifier maladroitement, de transmuer en vérités, mes hypothèses toujours relatives, toujours incomplètes malgré la force dont je peux user à les énoncer.

    Ce volcan, que dans mon intimité j’appelle Milan, fait bouillir dans cette soupe du Jeu, des Pensées, du Rêve et des images de Temps. L’écriture qui suinte de ma plume saute de l’un à l’autre, selon l’inspiration du moment, selon le contexte.

     

    Aujourd’hui c’est le jeu qui m’encadre. Le jeu de l’absurde apparent qui est en fait ma réalité de l’instant ; Le jeu qui conduit à donner un sens par antiphrase à ce qui dans les mots qui se déroulent n’en a pas.

    Je ne cherche ni à vous perdre, cher complice ni à vous égarer. Au contraire, en montrant les cartes je ne fais que lever un peu l’énigme, faire en sorte que le résultat ne puisse être qu’un, sans équivoque puisque tout est dit et tout est visible.

    Aujourd’hui je n’ai à dire que je n’ai rien à dire et c’est justement cela qui ne se nomme pas. Pourquoi le nommer, puisqu’il ne mène nulle part, puisqu’il ne signifie pas, sauf que, cette écriture est gratuite et qu’elle n’a d’autre ambition en marquant ce chapitre, que de nous libérer, vous et moi, d’un non sens.

    Pour pouvoir peut être demain, ayant purgé cette lacune, faire sourdre, si possible, du rêve ou, qui sait, des Pensées.

     

    © Jorcas                                                                     

     

     

     

     

     


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