•  

    Ce livre m’est tombe dans les mains par hasard. Un hasard un peu fabriqué, comme l’est le fait de trouver une roulette dans un casino. Hasard tout de même.

    J’aime parfois entrer dans une librairie et me servir au petit bonheur de lectures pour la semaine, ou pour un voyage.

    Pas tout à fait à l’aveugle. Au casino, certains choisissent la roulette, d’autres le Black Jack, d’autres, plus fauchés ou moins hardis, les bandits manchots. Moi je choisis le rayon bon marché « Romans et nouvelles » et là, je picore au gré de la couverture, du titre, rarement, du moins ces jours de jeu risqué, en fonction de l’auteur.

    Une fois récolte faite, je reviens sur terre un peu par traitrise pour lire la quatrième de couverture. J’aime le jeu dans des limites prudentes. Les pommes aussi, on les trie après récolte.

    Certains retournent à leur casier et les élus de la chance m’accompagnent  sans espoir particulier.

     

    La couverture de celui-là était bizarre. Des fruits au milieu de paquets de feuilles. Aucun sens clair. Je prends. Il passe le barrage de la quatrième de couverture. Le résumé est neutre. Pas brillant, pas méchant.

    Le contenu est tout aussi surprenant.
    Ça commence tout doux. Un polard sans trop d’imagination. Pas un polard noir américain, écrit par un Français de la Butte sous pseudonyme de sheriff des années Trente, avec Whisky et Pépées roulées tellement bien qu’il est impossible d’en trouver le même modèle dans la rue. D’ailleurs, les Pépées version USA actuels et pas que dans les polards, sont plutôt des femmes sandwich qui font de la publicité pour les prouesses de la silicone.

    Je sens venir le jour où les américains penseront que des seins ordinaires sont des boutons de varicelle légèrement grossis.

     

    Quelques pages ingurgitées sans effort intellectuel. Des descriptions des lieux. C’est pratique pour se retrouver et, mine de rien, on peu trousser un ou deux chapitres avec ça. De la gonflette de pages.

    Des descriptions des personnages. De quelques uns. Leur enfance, l’école, papa-maman, leurs boutons d’adolescence, leurs premiers amours.

    Là aussi on verse dans le rêve en chocolat. Les premiers amours actuels en littérature bon marché sont acrobatiques. On s’arrache les vêtements, on planque l’autre contre le mur. De l’amour de cannibale mis au régime légumes verts pendant six ans et qui tombe d’un seul coup d’un seul sur un explorateur belge, dodu et paumé dans la forêt, bien entendu, vierge.

    Vieux comme je suis, j’ai surtout entendu parler de la panne de la première fois, de la maladresse. Même  de délicatesse. Certainement des écrivaines, moins portées sur le bestial.

    Jusqu’à une époque récente le sexe ne vendait que lui même, pas le moindre yaourt, pas de soupe, pas de produits d’entretien. C’est vrai que le sexe cultivé par les publicitaires a fait un grand bond. Reste à savoir si c’est en avant.

     

    Je n’ai pas payé cher mon bouquin et j‘aime bien être à jour, être de mon temps.

    J’ai poursuivi mon héroïque parcours.

    Le cœur du bouquin portait sur les sentiments. Les affects, pour utiliser un terme presque savant et à la mode. Comme la bande annonce d’une série télé en plus long. Pas en plus développé, en plus gnan- gnan. Mes yeux ont tenu un peu de temps mais la rébellion était imminente. J’ai jeté le bouquin à la poubelle. Mes étagères n’auraient pas apprécié un tel  voisinage.

    Vous savez quoi ? Si je n’avais pas peur des avocats de l’éditeur, je vous dirai le nom de l’auteur, la collection, la maison d’édition pour vous éviter de faire la même erreur que moi. Ils ont de la chance que je sois un trouillard.

     

    J’ai été obligé de me rabattre sur du classique. J’aurais presque été jusqu’aux prix littéraires ou aux Académiciens.

    Il paraît que ça rapporte gros, l’écriture de gare. (Je me refuse à dire « littérature de gare » J’ai déjà de la peine pour les gares) Ce n’est pas étonnant que les incivilités soient en progression fulgurante. Il faut comprendre le jeune lecteur que l’on pousse à lire, à se cultiver et qui tombe sur ces trucs parce que c’est les moins chers. Même à petit prix il se sent floué !

     

    © Jorcas

     

     


    votre commentaire
  •  

    J’ai commencé à écrire l’histoire du jour le plus naturellement du monde. C’est mon métier, je me sentais bien, au chaud, inspiré par une idée sans doute piquée quelque part. Comme je ne savais plus où, cela ne me posait pas de problème.

    En cours de route, un petit arrêt pour prendre un café, ou un thé, ou un truc quelconque, peu importe, et la mauvaise habitude m’a poussé à jeter un coup d’œil sur mes blogs avant de continuer.

    Voir s’il y avait quelque chose de nouveau.

     

    Et il y avait quelque chose de nouveau !

    Des insultes, des commentaires menaçants, toute sorte de comparaisons qui me rabaissaient au niveau d’un ectoplasme lubrique et dégénéré.

    J’avais lu dans Rue 89 le compte rendu d’une étude sur le stress des blogueurs qui parlait bien des commentaires incroyables que certains recevaient, au point de se sentir affectés dans leur moral, touchés par ces flèches au curare. Mais moi personnellement je n’en avais jamais reçu.

    De temps en temps quelques commentaires pas très flatteurs, mais rien d’insultant. Du moins pas plus insultant que ce que le moindre critique littéraire peut débiter dans les magazines cultureux au sujet des auteurs qu’il n’a pas lus.

     

    Et toute cette décharge de plomb me parvenait groupée !

    Ma première réaction a été de colère et j’ai commencé à dire leur fait aux signataires dans leur ordre d’arrivée.

    Avec le ton qui est le mien, qui n’use pas trop d’insultes. Les grossièretés je ne les dis plus depuis l’école élémentaire. Et même à l’époque, c’était seulement pour épater les copains et leur montrer à quel point j’étais déjà un grand, mais je n’y pensais pas à mal.

    Là, pas de mots grossiers mais des flèches tout aussi empoisonnées que les leurs. Style : « Si votre langage était humain, cela se saurait et j’aurait été capable de le comprendre. Mais un dictionnaire rendant compte de vos termes serait trop lourd à porter et aucun éditeur n’aurait accepté de l’imprimer »

    Vlan ! Dans les gencives.

     

    A la relecture je me suis dit que, probablement, ma phrase n’aurait pas autant d’effet que si je l’avais traité de F….. C …… E ….. et infectieux pollueur de web ! Mais il fallait que je reste sur ma hauteur.

    C’était important car j’avais beaucoup de lectrices douces, frêles et innocentes depuis que mon blog avait été mentionné dans la revue « Rose bonbon pour tout cœur » Je ne sais pas si elles auraient compris des mots si sales, mais en tout cas mon aura aurait pris un coup. Même si, comme je le pense, beaucoup auraient plutôt bien compris et auraient de suite branché leur portable pour se répéter les unes aux autres les bons mots de Gérôme le Blogueur (C’est moi).

     

    Car j’ai un statut gagné de haute lutte qui me vaut un grand nombre de commentaires doucereux, de déclarations d’amour et des demandes de rendez-vous pour voir si je tiens mes promesses, auxquels je ne réponds jamais (je parle des rendez-vous) Ce serait trop dur de devoir choisir : Qui la première ? Chez toi ou chez moi ? Le week-end ou en semaine ?

    Et en plus, il faudrait que je prouve tout ce que je raconte et alors, de deux choses l’une : Ou bien je serais obligé de changer de sujet et mettre en sourdine mes prouesses ou bien je serais mis au pied du mur, sommé de prouver que, oui, c’était cela ma réalité incroyable. Alors là, l’histoire de la panne décrite dans les magazines féminins n’est rien comparée à ce que serait ma déconfiture. La fin de ma belle aventure !

     

    J’ai finalement opté par une solution décrite dans le même article. Une bloggeuse  américaine – il n’y a pas à dire, ils ont toujours un métro d’avance sur nous- cette bloggeuse, donc, qui recevait beaucoup de mails et commentaires insultants a décidé de les imprimer, d’en tapisser son entrée de garage et de rouler dessus tous les jours avec sa voiture. Proprement génial. Le crime symbolique ou je ne m’y connais pas.
    Comme je n’ai pas de voiture et que j’habite un petit appartement, j’ai trouvé l’adaptation à ma petite réalité européenne et néanmoins française : J’ai imprimé, moi aussi, tous ces coms insultants et j’ai tapissé le sol de mon coin-cuisine. Je ne suis vraiment pas une grande toque (j’ai failli dire : non plus, mais je me suis repris à temps) alors, les vilains coms seront pleins de taches de graisse, de gouttes de café froid, de peaux de saucisson et toute sorte d’autres trucs tombés de ma vaisselle en retard de plusieurs lavages.

    Ils ne s’en remettront pas, j’en suis sûr.

     

    Maintenant  je continue de mon mieux à faire rêver mes lectrices tendrettes en souhaitant des coms grossiers pour continuer à protéger le sol de ma cuisine des éclaboussures de fin de repas !

    Je me porte beaucoup mieux et le nombre de visiteurs de mes blogs ne cesse de grimper.

    C’est un peu stressant, mais cela me fait un petit guili-guili délicieux !

     

    © Jorcas

     

     


    votre commentaire
  •  

    Je passe les pages de mon livre. Il est profond, sophistiqué, tendance, encensé par la critique. J’ai beau être du métier, je m’y perds.

     

    J’allume l’ordi, quoi de neuf sur internet ? Des mails ?

    Rien, presque rien, moins que rien, il me faut descendre sur terre, pas de rêve sur commande, pas d’encre artificielle à pomper. Je vais tout lire tout de même, des fois que dans le lot..

    Un poète délire sur le sexe des anges, sur sa copine. En fait, il délire sur son sexe à lui. Sans intérêt

    Un autre annonce qu’il montera en haut de la tour la plus haute pour poser nu pour un photographe ami

    En réalité, poser nu veut dire ne pas mettre de chapeau. Pour le reste, rien à voir

    Des blogs féminins donnent des leçons de tenue aux mâles à la pêche sans finesse

     

    Une étoile filante se laisse deviner juste un instant

    J’ouvre les yeux de tout leur tour : Elle repassera surement. Les étoiles filantes vont toujours trop vite, mais elles reviennent.

    La revoilà. Elle passe tout près, je me brule rien qu’à la regarder. Pourtant je n’ai pas vu grand chose. Une longue chevelure. C’est normal pour une étoile filante. Un petit corps tout mignon et beaucoup de lumière.

    D’où leur vient l’énergie, aux étoiles filantes ?  Sont-elles aussi des bombes atomiques en promenade dans l’espace ?

     

    Encore un passage. Face à face. Je m’aplatis au sol pour la laisser passer, pour ne pas lui couper sa course folle. Et aussi parce que j’ai peur de me bruler. C’est normal, je vis dans la glace, alors le feu, qui plus est inattendu !

    Fin de session ordi. Je vais m’allonger pour réfléchir, avec le livre de tout à l’heure posé sur ma poitrine.

    Fermé.

    Je rêvasse. C’est fou, tout de même, cette affaire des étoiles filantes qui passent et repassent.

     

     


    votre commentaire
  •  

    Comme chaque matin Louis sortit de chez lui à l’heure habituelle. Traversa la rue au deuxième passage zèbre, celui à la meilleure visibilité. C’est une précaution qu’il respectait sans la moindre entorse. Marcha de son pas régulier jusqu’à l’arrêt de bus ; il passait deux minutes après. Le bus était aussi ponctuel que lui. Cela lui permettrait d’arriver au bureau, comme d’habitude, dix minutes avant l’heure prévue par le règlement intérieur et son contrat.

    Comme chaque matin, il s’installa dans son bureau, alla se servir un café à la machine du couloir et mit en route l’ordinateur pour charger les mails arrivés depuis son départ la veille au soir.

     

    Jean, je n’ai pas le temps de te préparer un café, je suis en retard. A ce soir !

     

    Vas-y, ma chérie, ne t’en fais pas pour moi.

    Son compagnon du moment s’était vite fait à l’idée que toute notion de régularité était impossible avec elle.

    Il pensait en même temps que c’était invivable et qu’il ne tarderait pas à trouver une raison pour lui faire comprendre que, malgré son amour pour elle, il retournait dans sa ville, retrouver son petit studio et son calme. Elle s’y ferait rapidement. D’ailleurs, elle l’oublierait comme elle oubliait tout, ses courses, ses clés, la rue où elle avait garé sa voiture, les anniversaires d’amis et parents.

    Dolores était une fille admirable, une amante radieuse, mais elle vivait dans un monde en quelque sorte liquide, qui se construisait à chaque instant d’une manière différente. Il n’était pas capable de la suivre dans les sursauts de sa vie. Il valait mieux se séparer doucement sans attendre le clash violent qui ne manquerait pas de se produire un jour entre eux.

     

    Louis termina ses huit heures de travail journalier sans souci et sans retard dans ses affaires. Son organisation et sa méthode étaient un exemple souvent cité dans l’entreprise aux nouveaux arrivants. Voilà comment il faut faire pour que le travail soit toujours exécuté au mieux et à la satisfaction des clients et de vos chefs de service !

    Il n’en était pas particulièrement fier. C’était en lui une seconde nature et de ce fait, il ne voyait pas de mérite à cela. Il était ainsi, voilà tout.

    A six heures précises il quittait son bureau et allait passer deux heures avec sa fiancée. Son mariage, préparé par les parents des deux futurs époux aurait lieu dans quelques mois et le temps qui restait jusqu’à cette date était bon à mettre à profit pour parler ensemble de toutes choses et se mieux connaître. Cela ne pourrait que les aider dans leur future vie de couple.

     

    Dolores posa les paquets des courses sur la table de la cuisine avec les clés de la maison et de la voiture. Il faudrait qu’elle pense tout à l’heure, en rangeant tout dans le réfrigérateur, à les mettre dans son sac pour ne pas avoir à les chercher demain matin.

    Elle prit le courrier que son compagnon avait posé sur le petit guéridon du couloir

    La première enveloppe portait son nom : Dolores, mais n’avait pas de timbre.

    Elle  lut la lettre deux fois. Une première rapidement, surprise, un peu incrédule. Une deuxième calmement, s’attardant dans chaque mot, dans chaque argument.

    Résumé en clair : il la larguait parce qu’il l’aimait mais elle était insupportable. Elle ne sentait rien de particulier. Et rien de nouveaux. Depuis le temps qu’il lui faisait des reproches pour tout et n’importe quoi, les rapports sexuels exclus, elle s’y attendait plus ou moins. D’ailleurs elle avait eu plusieurs fois l’intention de faire une mise au point claire, mais avec le boulot, les courses, les factures, elle avait oublié chaque fois de lui en parler.

     

    Au diable. Il fallait qu’elle s’occupe un peu plus d’elle. Et de l’assurance de la maison. La précédente avait été résiliée parce qu’elle avait oublié de payer même après deux relances qu’elle avait rangées quelque part. Puis elle n’a plus fait attention jusqu’à réception de l’avis de résiliation. Trop tard, il fallait aller ailleurs, ce n’est pas les compagnies d’assurances ni les courtiers qui manquaient.

    A coin de sa rue il y avait un très gros. Elle irait le lendemain.

     

    Louis, comme d’habitude, avait rapidement pris connaissance de ses mails en arrivant. Il préparait pour sa secrétaire quelques lettres à écrire et des instructions pour les experts de sa zone. Il lui dicterait dès qu’elle lui apporterait le courrier arrivé, avant que les clients qui venaient directement ne commencent à se manifester.

    Sa secrétaire lui remit le courrier et lui annonça qu’une jeune femme, qui n’avait pas rendez-vous, voulait voir un courtier ou un responsable pour une assurance domestique.

     

    Demandez-lui d’attendre quelques minutes, le temps que je vérifie si quelque chose d’urgent arrive dans le courrier et j’irai la chercher.

     

    Dolores exposait la raison de sa présence à un Louis qui ne la quittait pas des yeux, qui la regardait comme on regarde une lumière forte et inattendue. Heureusement le problème était simple à résoudre.

    Vérification faite, j’ai reparti ce matin le travail à faire et je n’ai personne de disponible pour établir sur place le document avec les caractéristiques de votre appartement et l’assurer de suite. Pour ne pas retarder la prise en charge par l’assurance, je peux aller avec vous, si vous le voulez, faire l’état de lieux avec lequel on peut faire partir de suite la couverture.

    Dolores dit oui, elle avait simplement besoin de passer un coup de fil à son travail pour annoncer qu’elle n’irait pas aujourd’hui. Son patron était en déplacement et cela n’aurait pas de conséquences qu’elle prenne un jour de RTT.

     

    Louis commença de suite à établir le document avec le détail des chambres et les caractéristiques générales de l’appartement à assurer.

    Excusez-moi, lui dit Dolores, votre nœud de cravate  est tordu et cela ne va pas bien avec votre tenue. Vous permettez ? Avant qu’il eu pu répondre elle lui remit en état, passant ses doigts entre le cou et le col de la chemise pour le redresser.

    Voilà qui est mieux. Mais à mon avis, vous seriez encore mieux sans cravate. Vous avez un joli cou escamoté par le col. Vous ne voulez pas l’enlever ?

     

    Il hésita quelques secondes puis enleva la cravate avec un air des plus sérieux. Vous aimez mieux ainsi ? Elle lui dit oui sans arrêter de rire. Il ne savait pas si elle était vraiment contente ou si elle se moquait de lui.

    Dans son souvenir, il se voyait disant à Dolores qu’il l’aiderait à rédiger la lettre à envoyer en recommandée  à la compagnie pour être certaine d’être assurée dès la date du cachet de la poste. Dans l’image suivante, dans une tenue fort peu professionnelle il se voyait assis sur une chaise de la cuisine, Dolores à califourchon sur lui le couvrait de baisers sur les lèvres, les yeux, le front, faisait tomber sur lui une pluie d’étoiles directement sortie d’un tableau de Klimt pendant qu’explosaient l’un après l’autre les petits cercles fermés, cohérents mais misérables de sa vie précédente, son mariage arrangé, sa fiancée, sa mère, sa vie réglée avec précision et étroitesse pour laisser la place à des cieux bleus, sans points de repères fixes mais sans limites.

     

    ©Jorcas

     


    votre commentaire
  •  

    J’ai croisé quelques veilleurs de nuit, ce matin, ils finissaient de repeindre les murs de la rue avant que la lune n’éteigne le peu de lumière qu’elle crache les soirs à polards comme ce soir. Peine perdue.

    Les premières fenêtres s’ouvrent en grand, les volets claquent. Ce sera peut être un jour ordinaire, pour conclure une telle nuit. J’ai oublié de quoi j’étais témoin. J’ai oublié mon nom

    J’étais posté, comme tous les soirs, à l’angle de la rue, caché derrière le grand tronc qui ne cache pas grand chose. Je dirais, si on me pose la question, que je n’ai rien vu.

    Je ne dors jamais la nuit. Le jour non plus, c’est une vieille habitude. Mais du coup je ne vois pas ce qui se passe autour de moi. Mes yeux se ferment sans arrêt, même s’ils ne dorment pas. Ils sont absents. Vous pouvez être tranquille, ce n’est pas mon témoignage qui vous créera des ennuis.

    Pour compléter ma fausse imitation il me faudrait une longue description de quelque chose. Peu importe de quoi, mais il faut de la longueur, sans points à la ligne, à peine sans virgules. Ce peut être les voitures stationnées le long des trottoirs. Leur couleur, leur marque, l’état de la carrosserie. Je pourrais même broder un peu sur les propriétaires que chacune devrait normalement avoir pour que la description garde une cohérence. Ce ne serait que ma cohérence, celle que je voudrais lui donner. Mais lorsqu’on se met à écrire « à la façon de » il faut bien pousser le crayon jusqu’au bout sans se soucier d’autre chose.

    J’ai du mal avec celui-ci. C’est un hybride. Pour pêcher un peu d’inspiration sous les traits de modes d’écriture, j’ai lu trois ou quatre auteurs différents en même temps. Je sautais du chapitre sept de l’un au deux de l’autre, puis un troisième, puis un quatrième. Ce n’était pas seulement une manière de me protéger en déguisant chaque style par le mot pris au suivant. C’était aussi une façon pas très honnête et je ne sais pas si elle est efficace, de construire un récit qui n’est pas censé conduire quelque part mais simplement faire son petit bout de chemin. C’est tout ce qu’on lui demande. Tout ce qu’on me demande aujourd’hui.

    Je ne fais, de la sorte, que passer par là. Pourquoi ? Je ne le sais pas non plus. Pour rien. Pour combler un vide. Pour attirer quelques regards perdus. Pour me dire que je sais dire quelque chose qui tourne en rond et qui ne dit pas beaucoup plus qu’un long silence. Mais allez donc mimer un long silence dans une page qui était déjà blanche au départ !

    Surréaliste ? C’est le nom que l’on donne à tout ce que l’on ne sait pas nommer. Loufoque ? Oui, sans doute, mais qu’elle importance ? J’ai été heureux de passer un petit moment avec vous. Voilà le motif, le vrai, l’unique. Je promets de passer la prochaine nuit derrière l’arbre du coin de la rue à mieux observer ce qui se passe et d’en faire un compte rendu matinal avec plus de suc. Si je croisse encore les veilleurs de nuit, je serais plus attentif à leurs paroles, à ce qu’ils sifflent, à ce qu’ils chantent tout doucement pour ne pas réveiller les couche-tard qu’ils ont croisé toute la soirée et qui seraient bien incapables de les reconnaitre.

    Je vais m’allonger un peu.

     

    © Jorcas

     


    votre commentaire