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    Je ne sais pas à quel moment il s’est mis à faire nuit, mais en tout cas c’était du sérieux, on ne voyait pas à un mètre.

    Heureusement j’avais bien travaillé ce matin puis fini toute ma correspondance avant même que ma tête ne se mette à digresser au point de ne pas s’apercevoir de la disparition de la lumière. Et il ne me restait plus une seule bougie pour adoucir un peu l’obscurité qui m’enveloppait toutes les nuits, depuis que j’avais déménagé dans ce coin de forêt.

     

    Ça m’a pris tout d’un coup. J’avais été un matin porter un paquet dans un hameau au pied des Vosges, pas bien loin de Marmoutier, un trou réellement perdu et j’en suis tombé amoureux sans atermoiements. Voilà un endroit idéal pour reprendre la rédaction de mon libre et travailler sans me distraire. Pas de commerce trop près, pas de circuit touristique, juste la nature sauvage, belle et cet ancien abri en grès rouge comme il se doit.

     

    La masure c’était un carré sans la moindre prétention avec une petite cheminée dans un des cotés, qui me permettrait de cuisiner un peu et d’affronter l’hiver si je restais ici jusque là. Une fenêtre face à la porte et rien d’autre. Pas un meuble, pas une marque d’anciens habitants, rien.

    La pompe qui permettait de tirer l’eau du puits, contre la façade arrière, était impeccable et, à défaut d’autre chose, je ne mourrais pas de soif, à condition d’avoir les muscles du bras en bon état pour l’actionner sans défaillir.

     

    Je me suis équipé à minima : Une table achetée chez un brocanteur de la ville, une chaise avec assisse empaillée, un lit de camp et un sac de couchage, un bougeoir, des bougies, plusieurs boites d’allumettes et mon vieux vélo, pour aller au besoin faire les petites courses jusqu’au plus proche village sans me servir de la voiture. Une provision de nourriture de campement : des boites de conserve, des saucisses sèches à accrocher, quelques fruits, des tomates séchées et des biscottes pour ne pas avoir à me soucier du pain.

    Je ne pouvais pas tenir un siège, mais j’étais certain d’éviter l’excuse des coupures pour faire des achats pour justifier mon éventuel manque d’inspiration.

     

    Ce soir là j’étais mort de fatigue. Pour ne pas perdre la forme, je m’obligeais chaque matin, avant de me mettre à écrire, à faire une petite marche dans les environs, monter et descendre quelques coins abrupts, puis revenir réveillé pour de bon pour me mettre à écrire.

    J’avais bien avancé et, à quelques corrections et à une mise en forme de dernière heure près  j’avais enfin pu bâtir ce texte qui me résistait depuis si longtemps.

     

    J’allais m’allonger dans mon lit lorsqu’on frappa à la porte. Je dois réellement être fatigué pour avoir des hallucinations à cette heure. Je me couche vite. Mais voilà qu’on frappe à nouveau !

    J’ai dit : oui ! Automatiquement, résultat d’une éducation rigide et mécanique qui me permettait de parer au plus pressé sans me poser des questions. J’étais d’ailleurs convaincu d’avoir commencé mon rêve avant que de m’enfoncer dans le sac de couchage.

    La porte s’ouvrit et à la lumière d’une nuit sombre, c’est à dire, pas grand chose, je découvris  une jeune fille qui, avec la même politesse mécanique que moi me demandait si elle pouvait entrer.

     

    Bien sûr, bien sûr, entrez. Je suis désolé de ne pas avoir de lumière, mais j’ai fini la dernière bougie hier !

    Je ne sais pas si cela lui importait, mais je n’avais pas trouvé autre chose à dire et ne voyais pas trop comment entamer l’analyse de la situation bizarre de cette visite, en pleine nuit, dans mon trou perdu des Vosges.

    Pour autant que je puisse en juger dans l’obscurité, elle était bien jolie. Pas du tout le type alsacien, plutôt une brune du sud, élancée, de mon âge.

     

    Je crains de m’être perdue et je ne sais pas où passer la nuit. Cela ne vous gênerait pas trop de m’héberger jusqu’à demain matin ?

     

    A nouveau l’éducation rigide et mécanique de ma mère qui se manifestait : Non, non, naturellement. Seulement, je ne peux vous offrir que le toit, je manque de lits, de draps et somme toute de tout pour accueillir quelqu’un.

     

    Cela n’a pas d’importance, j’ai mon attirail dans le sac à dos et il me reste un sandwich de midi.

     

    Pour la suite, je ne vais pas vous ennuyer avec des détails scabreux. D’ailleurs, ils ne le sont que moyennement. Pas question de me vanter d’avoir passé la nuit à faire l’amour avec ma belle visiteuse. Dans l’état de fatigue dans lequel j’étais, ce ne serait pas crédible et le manque de moyens matériels offrant un minimum de confort limitait aussi fortement les possibilités. Encore heureux qu’elle avait le sens de l’initiative, car autrement notre rencontre ne se serait pas beaucoup enrichi.

     

    Toutes ces fatigues aidant, j’ai dormi comme un loir, pour sacrifier à l’expression consacrée. J’ai ouvert les yeux alors que la première lumière du jour entrait par ma fenêtre sans rideaux, pour constater que ma belle visiteuse était déjà partie sans un bruit ni un mot.

     

    J’ai sauté de mon lit de camp, fait le tour des environs, fouillé toute ma bicoque. Mais qu’aurait-elle pu me voler, je n’avais rien qui puisse mériter le nom de richesse.

    Un peu désappointé, j’ai repris mes habitudes régulières : Monter et descendre quelques cailloux vosgiens, aller d’un pas alerte d’un bout à l’autre du pré qui entourait la maison pour bien faire circuler le sang, puis je suis rentré manger quelques biscottes et me mettre au travail.

     

    Ma machine à écrire était bien là, mais pas une seule feuille de papier. Ma visiteuse avait embarqué tout mon manuscrit ! Bien plus grave que si elle m’avait détroussé de tout mon humble attirail !

     

    Je suis rentré chez moi dans une rage totale. Comment cela avait-il pu m’arriver ? Il me fallait effacer tout cela et récupérer  dans ma mémoire tout le travail fait dans mon supposé paradis, si j’en étais capable. Je suis parti pour quelques mois dans le Bush, chez un ami australien, le temps de me remettre la tête sur les épaules.

     

    Dès que je suis rentré à Paris, ma première sortie a été pour faire le tour du Quartier Latin. Les cafés, les cinémas, les librairies……et là je suis de suite tombé en arrêt devant le dernier prix littéraire de l’année. Le titre était : « Au pied des Vosges » et c’était signé : « Lui et moi »

    Je me suis précipité dans la librairie devant laquelle j’avais fini par retrouver ma respiration et j’ai acheté un exemplaire.

     

    Première page : Dédicace : « Mon chéri d’une nuit, je ne t’oublie pas, je pense à toi tout le temps. Mets un mot à mon éditeur avec ton numéro de compte en banque que je puisse partager avec toi ce que nous avons fait en commun. Le mot de passe : décrit l’intérieur de ton palais, que je te reconnaisse sans le moindre doute »

     

    Depuis je vis dans un petit village près de Marmoutier dans une belle maison que je me suis offert avec l’argent qui me tombe directement du pied des Vosges.

    J’écris beaucoup. Je pose chaque soir mes feuilles bien rangées sur la table de travail de mon bureau et  je laisse toutes les nuits la porte ouverte. Sait-on jamais !

     

    © Jorcas


     


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  • Je change d'horizon.

    Je tourne quelque part, au premier carrefour, pour aller vers un ailleurs qui m'est totalement nécessaire en cet instant précis.

    Inutile de me demander pourquoi. Je n'ai pas envie de parler. Ca m'a pris d'un coup. C'est comme ça.

    C'était juste après l'arrêt du bus. J'ai vu de loin les deux gamins qui attendaient. J'aurai pu les prendre, mais je me suis dit que le bus n'allait pas tarder.

    Lâche ! Egoïste !

    C'est vrai. J'aurai pu continuer tout droit sans y penser d'avantage.

    On subsiste grâce à la capacité d'effacer en quelques fractions de seconde une image qui est venue sans qu'on la désire.

    Mais ils s'accrochent, les deux morveux.

    J'ai essayé de penser à autre chose pour me changer la vision. A un type que je n'aime pas du tout. Je le croisse sans arrêt partout où je vais lorsque je suis en ville. Je n'aime pas ce qu'il fait. Ni ce qu'il écrit.

    Est-ce qu'il aurait fait monter les gamins, lui ? Je ne crois pas. Il aurait pris une photo pour montrer à ses amis la misère que l'on voit sur ces routes perdues.

    Pas efficace non plus. Maintenant j'ai deux mauvaises images en tête : Les deux enfants et l'autre crétin qui m'énerve rien que de penser à lui.

    Non, je ne peux pas faire demi-tour. C'est dangereux sur cette route, les gens roulent très vite. Et le bus a dû arriver à son arrêt. C'est l'heure.

    Autant continuer et ne plus en penser.

    Je vais ralentir un peu, pour apercevoir le bus. Question de minutes.

    Les gamins doivent être bien au chaud dans le bus. L'autre idiot à effacer de ma tête.

    Voilà le bus ; je l'aperçois dans le rétroviseur.

    Je vais m'arrêter sur le bord pour le laisser passer et m'assurer que les petits sont dedans. Sinon, j'irai les chercher.

    Il arrive. Il ne roule pas vite.

    Il me double.

    M.... !

    Je ne veux pas me laisser aller à des grossièretés.

    A l'arrière du bus, le crétin en question est assis entre les deux gamins. Je ne sais pas ce qu'il leur raconte, mais ils rient de bon cœur.

    Bien fait pour moi.

    J'aurais dû continuer ma route sans me poser des questions absurdes.

    Ca m'apprendra à avoir mauvaise conscience. Au prochain arrêt de bus, je regarderai de l'autre coté. C'est plus simple.

     

    ©Jorcas


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