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    Vous avez remarqué ?

     

    Ah ! Non, non je n’ai rien remarqué. D’ailleurs, je n’ai rien vu. Je ne regardais pas.

     

    Qu’est-ce que vous ne regardiez pas ? Je crois que vous me cachez quelque chose. C’était juste en face de vous, sous vos yeux, contre ce massif fleuri!

     

    Impossible, j’avais les yeux levés. Je regardais un nuage qui changeait de forme sans arrêt. C’est très intéressant, vous savez ? Les nuages qui changent de forme. Et alors, l’eau qui est dedans, je me demande où elle passe lorsque le nuage rétrécit.

     

    Voulez-vous arrêter ? Je ne comprends pas cet entêtement à me mentir. Je ne suis pas un policier, juste quelqu’un qui passait par là. J’ai entendu le cri, j’ai reconnu la voix et en arrivant, je l’ai trouvé là, à vos pieds. On dirait qu’il vous demandait pardon.

     

    Si ça peut vous faire plaisir, je pardonne tout, ce qui est arrivé et ce qui n’est pas encore arrivé, comme ça on est tranquilles pour un moment. Maintenant je dois m’en aller, on m’attend, excusez moi. Vous voulez bien lâcher la manche de ma veste ?

     

    Pas du tout. Je vous tiens, je ne vous laisserais pas avant de savoir le fin mot de l’histoire. Je veux savoir qui l’a dévêtu,  qui a pris ses chaussures. Et le chapeau que vous avez sur la tête n’est-ce pas le sien ? Je veux la vérité.

     

    Ecoutez, puisqu’il le faut, je vais tout vous dire. Votre ami, là, au ras du sol, est une veille connaissance à moi. Nous avons fait ensemble la course Paris Lisbonne en patin à roulettes. Nous avons obtenu le même diplôme de plombier pour circuits fermés dans la même université américaine ; nous avons même été associés. Puis moi, ou lui, je ne sais plus, j’ai rencontré cette fille qui marchait à mon bras. Ou au sien, peut être. Toujours est-il que nous l’avons aussi aimé tous les deux au même moment. Alors, puisqu’elle nous réunissait alors que nous étions déjà tout le temps ensemble, nos chemins se sont éloignés, voilà.

     

    Et c’est tout ? Et pourquoi est-il à vos pieds et tout nu ?

     

    C’est une tout autre histoire. Si vous voulez, je vous la raconterais un autre jour. Là, si vous permettez, je m’en vais avant que la police arrive.

     

    Et il me donne un énorme coup sur la tête avec un paquet dans lequel il devait avoir quelque chose de lourd et de dur. Et c’est tout, Monsieur l’agent. Ce n’est pas moi qui ai estourbi ce monsieur qui gît là tout nu et je n’ai plus de nom à vous donner, car l’autre vilain a pris mes papiers et je ne sais plus qui je suis. Je peux partir ?

     

    Vous avez bien dit que vous aviez reconnu sa voix, donc vous le connaissez !

     

    C’est mon ombre, Monsieur, mais elle me fait honte à se déshabiller pour un oui ou pour un non, alors je la fuis, bien que je tombe tout le temps sur elle. C’est son nom : Mon Ombre.

     

    La voix du surveillant général de la clinique s’entendait dans tout le parc : La promenade est finie ! Allons, mes amis, il faut retourner dans vos chambres sans contrarier les infirmiers. Allons, allons. Demain vous pourrez revenir jouer dans le parc. Vous nous raconterez vos rêves.

     

    © Jorcas

     


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    Tu fais quoi ?

     

    Rien de particulier. Je lisais un roman dans lequel  un idiot était amoureux d’une idiote, ou le contraire, je ne sais plus très bien.

     

    C’est une allusion que tu crois toute en finesse ?

     

    Non, pas le moins du monde. C’était réellement ça. Chacun se faisait plus idiot qu’il n’était pensant devenir aussi idiot que l’autre. Du coup, la course à l’idiotie était en quelque sorte un cheminement sans fin. Résultat, ils étaient toujours aussi idiots l’un que l’autre et tous les deux plus idiots qu’avant.

     

    Je pense que tu te moques de moi. Ou que tu m’insultes, ce qui est moins supportable. Tu te crois vraiment plus intelligent que moi ? Tu me crois vraiment débile ?

     

    Je t’assure que cela n’a rien à voir avec nous. D’ailleurs, l’auteur pense que tous les couples sont pareils. Chacun à sa façon ils se copient en pensant le faire en ce que l’autre a de meilleur. Mais ce n’est pas facile et ce qui arrive c’est que chacun mime ce qu’il n’aime pas de l’autre.

     

    Tu m’énerves avec ton histoire. Je ne te copie en aucune manière. Quant à toi, j’aimerais bien que de temps en temps tu me ressembles plus au lieu de mettre en avant tes différences.

     

    Oui, cela commençait de la même manière, dans le roman en question. Résultat, on s’appauvrit en cessant d’être soi-même. C’est ce que l’auteur appelait devenir plus idiot. Mais pour te rassurer, je préfère que tu restes différente de moi comme je reste différent de toi. Et je t’aime bien ainsi.

     

    Je vais rester tout à fait différente de toi et pour te le prouver, je m’en vais ailleurs voir si le ciel est plus bleu.

     

    C’est bien la conclusion de mon romancier. Te voilà à me copier sans t’en rendre compte et du coup aussi idiote que moi. Tant pis, bonne chance !

     

    Pareil pour toi, gros bêta !

     

    ©Jorcas

     

     


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  • © Jorcas

     

     


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    Des cailloux, des arbres d’un tas d’espèces dont j’oublie tout le temps le nom. Ce n’est pas possible d’être aussi tête en l’air. C’est l’énième fois que je reprends ce texte avec l’intention de l’améliorer. Mais je ne sais pas trop ce que cela veut dire.

    Au départ, je voulais raconter une histoire à trois personnages, deux qui ne se connaissaient pas bien mais étaient en bon chemin pour y parvenir et le troisième qui était une sorte de clochard philosophe qui leur servait en même temps de point de rencontre et de repoussoir.  Rien de très nouveau.

    Chaque jour je revenais un peu sur l’affaire, pour ajouter quelques phrases. Tout un  chapitre les jours d’inspiration. Changer quelques mots seulement les jours sans. Mais la mayonnaise ne prenait pas à mon goût.

    Lorsqu’elle m’a téléphoné j’étais dans un jour sans. Furieux de constater une fois de plus que je n’étais pas le génie que j’aurais voulu être. Que les mots ne me venaient pas si facilement que ça. Que même en travaillant des heures, le résultat n’était pas à la hauteur.

     

    Oui ! Qui est à l’appareil ?

     

    Pas très accueillant, l’écrivaillon, dites donc ! Bonjour quand même. C’est Maud.

     

    Maud ? Quelle Maud ? Je n’en connais aucune !

     

    Vous, alors, quel ronchon ! Et tout ce que vous écrivez sur moi ? Et vos élucubrations sur ma façon d’être, sur ma vie, sur mon amour possible pour votre nigaud de personnage, le Félix en question ? Vous n’y êtes toujours pas ?

     

    Mais, mais….Cette Maud là est un personnage de  l’histoire que je suis en train d’écrire! Qui vous a parlé de ça ? Qui a pu lire mon travail, qui n’est pas encore publié ? Qui êtes vous ?

     

    Je suis Maud. Venez me chercher à la gare d’Austerlitz et je vous donnerai la réponse à toutes vos questions. Mais laissez-moi vous dire que je vous trouve bien ingrat et bien sauvage. Vous créez un personnage et ensuite vous le traitez par le mépris.
    Allez, cessez de faire le rustre et venez me chercher. J’ai faim. Je vous attends à la porte des arrivées. Vous me reconnaitrez du premier coup d’œil. En fin de compte je suis votre créature !

     

    J’ai posé le téléphone et je me suis servi un grand verre d’eau. D’abord parce que ça m’énerve, tous ces gens qui font boire un whisky ou équivalent à leurs personnages dès qu’ils ont une contrariété. Et j’ai horreur du whisky. Ensuite parce que j’avais besoin de me calmer et non de m’exciter. J’ai beau passer mon temps à écrire des loufoqueries, ça ne m’était jamais arrivé qu’un personnage prenne son indépendance sans que je l’aie décidé ! Et encore moins qu’il m’interpelle avec autant de désinvolture.

    Le verre avalé je me suis dit que si j’étais capable d’écrire tant de choses invraisemblables sans que cela affecte ma santé mentale, du moins en apparence, je ne courrais aucun risque à faire semblant de croire que de l’invraisemblable pouvait arriver. Ça me ferai prendre l’air de faire un tour jusqu’à la gare d’Austerlitz.

     

    Maud était tout à fait comme je l’avais décrite dans mon brouillon de nouvelle. 1m75, brune, avec des cheveux  courts. Tête plutôt allongée, un nez pas trop long et fin, et des yeux noirs. Un menton volontaire, légèrement marqué, mais non saillant et des lèvres tout à fait nature, sans rafistolage. 

    Allure sportive, un corps sans aucune exagération, pas de graisse, pas de jambes fluettes.

    Cette femme là, je ne l’avais pas inventée. Je l’avais vu dans un aéroport suivant de mauvaise grâce un crétin de mari prétentieux et je m’étais servi pour décrire mon personnage.

    Mais de là à la revoir à la porte des arrivées de la gare, m’attendant, me faisant un geste de la main dès qu’elle m’a vu, dès qu’elle a vu ma voiture ! J’aurais du emporter un thermos avec pas mal d’eau fraiche !

     

    Bonjour encore, cher Créateur ! Je vous plais ?

     

    Pour être désinvolte, elle était désinvolte. Je ne me souvenais pas de lui avoir donné un tel caractère, mais tout le monde sait que ses enfants ne sont jamais comme on pense les avoir éduqué.

     

    Bonjour Maud. Enchanté de faire votre connaissance en chair et en os. Vous me faites découvrir une facette de moi-même que j’ignorais. Je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, mais c’est un événement  auquel je ne peux pas me soustraire. Et pour un écrivaillon, faire connaissance à la porte d’une gare d’un de ses personnages, c’est peut être mieux que le Goncourt !

     

    Je suis sûr que vous êtes en train de penser que maintenant je vais dire que je tombe du lit, que je me réveille, que je reviens au monde des gens normaux, ou que je vais directement à l’asile ! Eh bien vous vous trompez, rien de tout cela. Maud est bien là, assisse à coté de moi dans ma voiture et il n’y a pas de chute facile et idiote à cette histoire que je vous raconte.

     

    Nous avons un peu parlé pendant le trajet, mais pas sur le seul sujet qui trottait dans ma tête : comment était-ce arrivé ? Maud était drôle,  bavassant  un peu de tout, admirative de tout, comme si elle venait à Paris pour la première fois. C’était peut être le cas.

     

    A la  maison, elle ne m’a pas laissé porter sa valise. Pas bien grande, m’a-t-elle fait remarquer, malgré le coté définitif de son voyage.

     

    Pourquoi définitif, Maud ? Que voulez-vous dire ? Et me direz vous aussi qui êtes vous réellement  et comment avez vous eu connaissance de ma nouvelle ?

     

    Je commence par le plus simple. Je suis Maud, celle que vous avez crée. Un écrivain ne doit pas avoir de doutes sur la possibilité de devenir réel d’un de ses personnages. Ça arrive tout le temps bien que les journaux n’en parlent  pas. Par peur de ne pas être crus par des gens déformés par leur éducation rationnelle et moutonnière.

    Je suis là définitivement. J’ai une petite valise mais nous choisirons ensemble, peu à peu, toute ma garde-robe future. Vous gagnez bien assez d’argent pour me l’offrir.

    Enfin, je suis là parce que je vous ai choisi. J’ai décidé de devenir votre femme et de vous faire changer de statut. Mon créateur, ça suffit. On sait, on oublie maintenant. Dès cet instant, vous êtes mon compagnon, mon homme, mon chéri. Vous ne croyez tout de même pas que je vais me contenter de cet idiot de Félix, dont je n’avais pas la moindre intention, malgré vos tentatives, de tomber amoureuse. Voilà tout.

     

    Cette fois c’est le robinet tout entier que je devais boire pour me remettre à l’endroit.

     

    Mais Maud, même si vous n’êtes pas un mirage. Surtout si vous n’êtes pas un mirage, nous deux ensemble c’est impossible. Je suis marié, j’ai des enfants, une femme jalouse à point ! Non, ma chérie, c’est impossible et je ne me vois pas en bigame !

     

    Mon amour, vous m’attristez, comme dirait un de vos personnages un peu fine fleur. Vous êtes un écrivain, un inventeur, un rêveur. Vous savez habiter des mondes différents, nouveaux, inconnus du commun des mortels  avant que vous ne les ayez décrits. Eh bien, en voilà un de ceux là. Vous lui donnerez un nom, si vous voulez. Vous êtes bon pour ça. Pour le reste, les rôles sont maintenant inverses. Vous êtes à moi, un point c’est tout. Faites vous –en une raison et n’en parlons plus. Nous avons toute une vie à inventer et à vivre.

     

     

    Le coup était rude. J’ai même failli laisser tomber l’eau pour plonger dans le whisky ou le gin. Est-ce que je traitais ainsi mes personnages ? Etaient-ils seulement le résultat de mes caprices, des mes états d’âme du moment, de mes lubies ? J’avais le sentiment, au contraire, d’être un faible, de passer mon temps à me demander comment ils auraient voulu être.

    Mais surtout je ne voyais pas de parade disponible. Déchirer ma petite nouvelle à moitié écrite ne servirai certainement à rien. Et la Maud qui était là n’avait pas du tout l’air d’être en papier ni de se laisser faire facilement.

     

    Allez mon chéri, habille-toi et n’oublie pas ta carte bancaire, je n’ai pas grand chose à me mettre !

     

    Je ne me sentais pas la force de dire non. Et avec quels arguments ? J’avais, c’était le pire, un sentiment mêlé de déjà vu et de fatalité.

    En rentrant des courses il faudrait que je regarde à quelle date était la nouvelle lune. Qui sait.

     

    ©Jorcas

     

     


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    J’ai vu la porte s’entrouvrir lentement, puis s’arrêter. Qui est là ? Ce n’est pas original comme question, mais elle a le mérite d’être claire.

    Pas de réponse. Pas de lettre dans la boite.  Pas de papier avec un texte forme de découpes de journaux sur le paillasson de l’entrée. Rien.

    Ma jolie voisine d’en face m’avait bien parlé d’un mystérieux visiteur qui ouvrait les portes sans entrer et ne semblait pas voler quoi que ce soit. Mais jusqu’à ce jour, je n’avais pas eu droit à la chose. Ou je n’avais pas fait attention.

    Je n’allais pas alerter la police pour si peu. Je crains d’ailleurs qu’ils ne me prennent pour un allumé et que au lieu de poser une main courante ils ne promettent de me poser  une camisole.

     

    J’ai choisi la douceur. J’ai écrit un joli texte, sur un bristol de qualité, adressé à mon « visiteur de l’ombre » en l’invitant à se manifester plus ouvertement et éventuellement à venir prendre un pastis ou un café, selon ses goûts. Une belle punaise dorée et sur le milieu de ma porte.

    Toujours rien.

    Mais il était revenu. Bon lecteur de polards, j’avais fixé un fil presque invisible et fragile sur la porte et sur le jambage. Le lendemain il était casé. J’ai recommencé. Casé. Et encore et encore. Je n’ai ni chien ni chat, donc, c’était lui.

     

    Réunion au sommet avec la voisine. Une sorte de conseil de guerre pour ainsi dire. Et nous avons décidé de passer nos nuits alternativement à nos fenêtres. Chacun observait sa porte et celle de l’autre et si jamais il venait, hop ! La main au collet et à table !

    Deux semaines. C’est le temps qu’ont duré nos forces. Franchement, passer des nuits en éveil chacun de son coté pour ça ! Et le plus dur était de constater chaque matin que lorsque fatigués nous finissions par nous endormir dans nos observatoires, il venait, entrouvrait la porte et s’en allait. Comme avant.

     

    Avec ça, chaque jour moins envisageable d’aller voir les flics. Une histoire pareille et c’était la camisole d’avant plus les menottes.

    On a tout tenté. Le sandwich baguette, le riz au lait en bol protégé, le cahier de notes à fleurs avec stylo fourni, l’adresse de mon psy et celui du dentiste de ma voisine, tout, quoi.  Toujours sans résultat.

     

    Nous avons eu une deuxième réunion au sommet, ma jolie voisine et moi. Et nous avons décidé d’une nouvelle stratégie. Les semaines paires, elle viendrait dormir chez moi et les semaines impaires j’irai dormir chez elle. Au début, on s’est fait des sandwiches pour nous. Puis du riz au lait. Puis une bouteille de champagne. Et un peu de musique, car les nuits sont longues, à surveiller la porte qui va s’ouvrir sans laisser passer le petit oiseau.

    Un matin, en nous levant, nous nous sommes aperçus que la porte n’était pas ouverte et que le fil était intact. Pourtant, nous avons été longtemps éveillés. On a dansé longtemps. Et les deux bouteilles de champagne étaient vides. Mais il n’est pas venu.

    Peut être qu’il a regardé par la fenêtre et a eu peur en voyant nos vêtements par terre un peu partout. Ou alors on a ri si fort, d’un rire nerveux, qu’il n’a pas osé entrer.

    En tout cas, depuis, plus de Fantômas  à nos portes, mais qu’est-ce qu’on s’aime, nuit après nuit, ma voisine et moi.

    Parfaitement.

    Finalement, c’est elle qui m’a passé la camisole, mais moi je lui ai mis les menottes.

    Et ce n’est pas plus mal !

     

    ©Jorcas

     

     

     


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