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    Sources était un tout petit village bâti circulairement autour du vieux centre. La place centrale était en fait un marché couvert, une ancienne charpente en bois soutenue par des forts murs en pierre. Le marché aux légumes et aux fruits qui, depuis toujours, était le point de rencontre, le point de repère de tous les habitants.

    Ce n'était pas long de parcourir Sources. Des rues bien dessinées, très légèrement courbes, si bien que, sans s'en apercevoir on revenait toujours au même point, un accès vers la place du marché.

    Il avait vu des villages similaires en Alsace, pays tout aussi tourné vers lui-même. Des rues aux maisons soignées, bien entretenues et où, à chaque pas on pouvait se demander si l'on n'était pas déjà passé par là.


    Parcourant les rues le plus éloignées de la place, on se rendait compte qu'il n'y avait pas une très grande distance entre Sources et Mirage.

    Ce qui semblait être la séparation de l'un et l'autre était un petit raidillon qui faisait penser à la limite de deux versants des eaux. D'un côté, vers l'Est, Sources. De l'autre, regardant l'Ouest, Mirage. Même les maisons et leurs jardins étaient orientés différemment d'un côté et de l'autre de la petite ligne de crête.


    Ils ont continué à marcher l'un à coté de l'autre, toujours en silence. Peut-être pensaient-ils aux mêmes choses, peut-être regardaient-ils les mêmes paysages, sans pour autant communiquer.

    Ils se sont arrêtés à l'entrée de Mirage.

    Venant de Sources, la pancarte routière avec son nom était, en fait, fort visible: le village s'appelait l'Etrave.


    Etrave, Mirage, ce n'était pas finalement si différent et ce n'était pas une question de phonétique.

    L'Etrave s'accrochait à un affleurement rocheux qui devait être le seul, dans ce pays où le sable côtier prenait la suite des champs maraîchers de manière insensible, avec comme seule rupture, la dunette qui faisait limite avec la plage et la mer.

    Il était organisé autour du port. Un éperon enroché qui, après s'être éloigné un peu en mer tournait dans le sens des vents pour rester parallèle à la côte, créait un petit port qui servait d'abri aux pêcheurs. Un phare à son extrémité et, à l'entrée de l'éperon, le bâtiment de la capitainerie maritime. Les yeux et le cerveau qui faisaient le lien avec la mer.


    Le village semblait être l'arrière pays de la mer plus qu'une avancée de la terre, malgré son nom.

    Les rues s'alignaient parallèles à la côte. Chacune avait la même vue de la mer, chaque fenêtre ouvrait sur le même horizon.

    Il imaginait des jeunes filles comme celles du tableau de Dali, appuyées aux fenêtres, regardant au loin le soleil qui s'en allait vers l'inconnu, vers le lendemain.

    Les maisons n'étaient pas particulièrement attrayantes. Plus sobres, peut être que celles de Sources, le vent du large obligeant à dégager les façades, mais la beauté qu'exhalait le village était due à la vue sur la mer, superbe de toutes parts, visible entre les maisons, comme si on avait voulu ne pas perdre trop longtemps de vue l'horizon.


    Ils sont allés s'asseoir contre un muret, sur un des cotés du village, face à la mer. Légèrement relevé, ils avaient  une vue complète du port et du jeu des vagues, venant doucement, après la brisure, faire danser sans danger les bateaux.

    Ils y sont resté, toujours en silence, pendant que le soleil descendait, poussait l'ombre des bateaux et du phare.


    Il revoyait des souvenirs anciens, peut être pour éviter des pensées actuelles. La position du soleil lui rappelait une promenade, partie presque obligée des fins d'après-midi d'un été,  lorsque il avait quinze ou seize ans. Ils allaient, tout un groupe, voir le coucher de soleil sur une plage qui s'appelait les  Marguerites.  Il n'a d'ailleurs jamais su pourquoi ce nom.

    Ce n'était pas une vraie plage, mais un assez laid petit plateau pierreux au bord de la mer et des marguerites il n'y en avait pas.

    Encore un artiste qui, dans son délire, en a vu là où ne s'alignaient que quelques pierres, que la mer entourait de petites flaques peu profondes.

    C'était justement cela, l'origine de la beauté des couchers de soleil dans cet endroit. Lorsque le soleil était presque à l'horizontale, chaque petite flaque d'eau s'illuminait d'une couleur différente, changeante aussi avec la descente du soleil dans l'horizon. Cela ne durait que quelques minutes, mais ce laid plateau de pierrailles ordinaires et de flaques d'eau sans prestance devenait une pure merveille de couleurs et de jeux de lumière.


    Dans le port, les bateaux   partaient pour la pêche nocturne, juste avant que le soleil ne touche la mer. Presque en même temps Elle s'est levée sans rien dire et a repris la route de Sources.

    Lui avait les yeux accrochés par les mouvements dans l'eau. Il a pensé un au revoir qu'il n'a pas dit. Elle a eu une hésitation, un petit arrêt avant de reprendre sa route, de poursuivre son chemin.

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  • Je suis surprise de vous entendre parler.  Par certaines de vos phrases, par certaines de vos attitudes, vous semblez un homme en crise.  Vous  faites   penser  à  cette   grande  fatigue  qui  suit  un effondrement.

    Et ne pas parler de ce qui réellement vous touche, de ce qui réellement vous  affecte,  ne pas  vous  livrer vous  laisse immergé dans votre difficulté.

    Vous vivez dans une maison où les portes et les fenêtres sont closes; l'air de l'extérieur n'y pénètre pas. Alors, vous ne trouvez pas de solution, de réponse à vos questions, vous tournez en rond dans votre   argumentation   critique.   Vous   livrer   n'est   pas   accroître l'angoisse, mais sortir à l'air libre, respirer à plein poumons même si au début cela fait mal, regarder le soleil, les fleurs, les oiseaux, tout ce qui est vivant. Vous livrer est renouer le contact avec le monde réel.


    Il aime la mer. Pour lui sa vue, son odeur, son bruit sont le rappel au monde dont Elle lui parle. Il est venu près d'elle reprendre des forces après une accumulation de moments difficiles. Il a besoin de se défaire d'une grande fatigue physique et d'un moral en détresse.

    Par sa nature, il reste debout face aux crises, mais la mise en cause est profonde.  De telles situations obligent à revoir toute votre structure de pensée et de sentiments.

    Vos sentiments sont affectés en ce qu'ils ont de plus pur, de plus ingénu. Votre amour propre est touché en ce que l'idée que vous vous faites de vous-même et les idées en fonction desquelles vous agissez, vous réglez vos relations avec les autres, sont mises en cause.

    Quel que soit leur apparence, les états de crise ont toujours le même  développement. Découvrir que sa place dans un concert de choses, de liens, se délite, a disparu réellement, parfois sans que les autres personnes concernés en aient eu conscience. D'être ainsi resté en chemin, comme par inadvertance, sans même le savoir, sans que l'on s'en aperçoive, cela touche la boue au fond de son histoire et, sans qu'il puisse y remédier, l'abat profondément, l'ampute d'une part de lui-même.

    Cela atteint le point faible, son talon d'Achille. Si ce fond noir de son âme est ravivé, quelque chose en lui meurt dans l'aventure, irréversiblement, définitivement. Souvenir encore de quelques vers écrits un jour comme un appel :


    « Peur de partir sans être vu,

    Peur de partir sans être aimé.

    Peur de n'avoir été

    Un instant retenu

    Un instant regretté »


    Ils sont restés en silence longtemps, l'un près de l'autre, sur le Méandre. Ses paroles résonnaient en même temps dans leurs têtes.

    Pour Elle c'était peut-être une découverte. Pour lui, comme les souvenirs souvent évoqués, un exorcisme, aussi peu efficace que les précédents concernant cet aspect de sa personnalité.

    Ils   sont   sortis   du   Méandre  lentement,   puis   tout  aussi lentement, ont parcouru la plage sous le soleil à son moment le plus fort. Leurs pas les ont peu à peu conduits jusqu'à la fourche. Elle s'est arrêtée et il a hésité un instant, avant de partir, à ses cotés, sur la route qui conduit à Sources.

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  • Ne pas vous livrer est votre choix. Je le respecte. Et la vision que vous avez de la statue? Comme le sable et l'air, la partagerez vous avec moi?

    S'il lui en parle, ce n'est pas la statue qu'il partage, mais sa façon de la regarder, ses liens avec elle et à cela il n'est pas prêt. Qu'elle regarde la statue, qu'elle la touche, cela la concerne. Mais que, ensemble ils y posent leurs mains, un même regard, cela serait une communion. C'est autre chose qu'un partage.

    Ce qu'il entend par communion ce n'est pas distribuer entre eux des fractions d'une chose, mais se mettre en relation simultanément, chacun avec la totalité de cette chose. Ce n'est pas une partie de la mer qu'il va regarder, même s'il la regarde en même temps qu'elle, mais toute la mer, limitée seulement par la capacité de ses yeux et non par le fait qu'elle la regarde aussi.

    Que de contradictions!. Et quelle approche avez vous de cette pierre! Ce besoin d'exclusivité ressemble à de l'amour, au désir!. Et pour du granit! Avez vous peur des êtres réels, des vraies femmes? Comme tant d'hommes, n'êtes vous pas malade de votre sexualité, de votre besoin de posséder?.

    C'est un profond amour qu'il ressent pour cette pierre. Amour qui échappe à peine au soupçon car elle est pierre et non chair. Mais en parlant de possession Elle tombe dans l'amalgame cher aux sexistes, aux puritains, aux manipulateurs.

    Désir, oui, bien sûr. C'est chez lui le prolongement d'un amour, une composante physique de cet attrait exercé par un autre. Mais désirer est envie de donner, non possession. Si elle avait eu un corps humain, il s'exprimerait dans une sexualité forte, avouée, heureuse, sans besoin de se cacher. Les hommes surtout, mais pas seulement eux, ont été affublés d'une version culturelle de la sexualité comme moyen de possession, d'asservissement de l'autre qui n'est pas l'expression biologique du désir mais les prémices d'une structure sociale. C'est le long travail de tous ceux qui ont compris la puissance de la sexualité et la possibilité qu'elle offrait, si on en devenait les arbitres, les régulateurs des bons et des mauvais usages, d'établir un contrôle sur les êtres, de gérer une partie de la vie de ceux qui « tombent en croyance », acceptant de leur abandonner leur liberté de sentiments exprimée sexuellement C'est à cet amalgame fabriqué après des siècles de culture qu'on sacrifie en parlant de besoin de posséder lorsqu'on reconnais désirer.

    Vous êtes amoureux de votre pierre, vous vous enfermez dans la solitude avec vos rêves. Vous croyez pouvoir échapper à la réalité.

    Non, il n'en échappe pas. La réalité n'est pas quelque chose de figé, de permanent. Elle est l'ensemble de relations que nous avons avec tout ce qui nous entoure. Avec ce qui est proche de nous et de notre devenir quotidien, qui évolue aussi rapidement que nous, qui se modifie instant après instant, faisant le temps qui passe. De même avec ce qui est plus éloigné, qui n'évolue que lentement parce que la relation est moins dynamique. Nos référents durables, à forte inertie, à mouvements amples et lents.

    Ce rêve est son interprétation du Monde. Il ne sait pas exprimer par la peinture ce qui est visible pour lui et pas pour d'autres, comme Dali enfant soulevait le bord de la mer pour montrer son chien dormant. Mais le rêve est son tableau, il est sa vision, son souhait de la réalité, donc, pour lui, une partie de la réalité elle-même.

    Ils étaient tellement absorbés par leurs paroles qu'ils n'ont  pas vu venir l'averse.

    Le Méandre n'était pas un abri et il était trop tard pour courir jusqu'à l'un ou l'autre de leurs villages. Il ne restait qu'à supporter la pluie et espérer qu'elle cesserait aussi vite qu'elle avait commencé.

    Voilà un partage ! Ils allaient partager ce grain! Ils ne recevraient pas les mêmes gouttes, mais seraient aussi trempés l'un que l'autre!

    Souriante, elle n'a pas manqué de remarquer qu'ils allaient aussi sécher ensemble sous le même soleil.

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  • Lorsque il déboucha sur la plage, le lendemain, Elle était déjà là, assise sur le sable tout près de la route, regardant le large, comme il l'aurai fait, bien sûr, pour l'attendre.

    Il se sentait comme un enfant pris en faute. Il avait tellement souhaité garder l'intimité de sa découverte, que de la voir s'évanouir lui faisait l'effet de dévoiler quelque chose d'intime. Il s'est surpris à se demander: Dois-je lui parler de la statue?, comme si Elle ne l'avait pas découverte. Elle faisait encore intrusion dans sa vie sans qu'il le souhaite. Cette solitude qu'il recherchait était encore une fois compromise.

    Cependant, quelque chose était changé. Elle-même, semblait plus calme, moins agressive, donnant de l'humour à ses traits qui auparavant étaient cassants.

    Pourtant, il s'était, plus que jamais, éloigné d'habitudes, de formes, d'attitudes qui auraient pu les rapprocher.

    Bien plus encore que le premier jour, ils pourraient suivre, peut-être des directions proches, mais leurs pas ne se confondraient pas. Elle prit les devants de ses pensées et de ses craintes.

    J'aurais voulu vous proposer de marcher jusqu'à ce Méandre à coté de la plage où je vous ai trouvé hier. Me répondrez-vous si je vous demande comment vous voyez cette statue? Que représente - t - elle pour vous? Pourquoi aujourd'hui ne vous livrez-vous pas?

    Il commença à marcher sans rien dire et Elle se leva pour marcher à coté de lui. Il se donnait le temps de réfléchir à l'attitude à adopter. Est-ce qu'il allait jouer un rôle, dissimuler ses pensées? Il n'avait pourtant rien à cacher. En quoi Elle ou quiconque pourrait influencer ce qu'il pensait de la statue, de cette complicité qui s'était établie entre la pierre et lui? Il décida, pour la première fois depuis longtemps, d'être ce qu'il était sans se soucier de savoir si cela correspondait ou non à son image, à ce que l'on pouvait espérer de lui.

    Il eut l'impression de marcher plus vite et plus légèrement. Il se voyait marcher seul sur cette plage, même si Elle marchait près de lui. Il avait conquis un sens d'existence. Il avait l'impression d'être une entité propre, complète, comme il ne l'avait jamais ressenti auparavant

    Nous voilà devant la statue. A se livrer comme Elle le lui demandait, à lui parler de ce qu'il  ressentait, il prendrait un risque. Que lui dire que le dernier psy venu n'ai pas déjà maintes fois décrit ?  Les choses dont il lui parle, dès l'instant où il les lui confie, ne changent pas de catégorie morale, même si leur aspect angoissant diminue pour lui. Mais en les écoutant, Elle les partage avec lui, contre son gré à elle et contre son gré à lui. Et en ce sens, lui parler lui donne un accès à son être le plus intime.

    Aucune sexualité ne réunit autant que le partage de ce que, jusqu'alors, était un secret personnel, exclusif, non dévoilé. Qu'est-elle pour lui cette statue?. La Vie, la possibilité, la capacité de survivre, de sortir d'une impasse du sort.

    Elle est une entité indépendante de lui, mais sur laquelle il reporte les images de ce qui lui paraît positif. Elle incarne la différence. Elle incarne aussi bien ce qu'il n'est pas en cet instant que ce à quoi il voudrait participer, s'adonner. Elle représente sa part de rêve.

    C'est un petit progrès de parler de votre folie. Enfin un peu plus que des paroles!

    Sa folie était seulement ce qui différait de son point de vue à elle. C'est ce qu'il construit avec une logique qui heurte la sienne.

    Ce n'est pas forcément déplaisant pour Elle, mais si contraire à ses habitudes mentales qu'elle ne peut l'admettre que comme déviation, comme une anomalie par rapport à la norme.

    C'est un monde dans lequel il n'est  pas seul. Regardez la folie de certains, peut-être de tous les artistes. Ils ouvrent des nouveaux champs de vision, de nouvelles interprétations du monde par leurs déviations par rapport à la norme du moment C'est souvent décrié, rejeté comme marginal, comme non acceptable. Cette marginalité est plus simple à comprendre que celle du clochard qui dort sous les ponts, mais pas nécessairement très différente dans leur première démarche. Dans les deux cas, elle est d'abord le refus du monde, de l'interprétation dominante du monde. L'artiste construit une nouvelle vision des choses dans laquelle il vit. Sa réussite est que cette vision soit un jour admise. Le clochard, lui, reste enfermé dans le refus, ne construit pas. Il ne vit que négativement.

    L'artiste garde parfois une partie de son cerveau de ce coté de la frontière et cela l'aide à être accepté en société! Dali est un cas d'école. Un fantastique génie de la peinture créant, devant une toile, grâce à une vision différente, très souvent délirante dans son interprétation du monde, hors du commun. Mais son amour tout aussi démesuré pour l'argent lui a gardé un pied parmi les « normaux », qu'il a d'ailleurs su exploiter avec presque autant de génie que pour, la peinture!

    Lui se situe entre les deux. Dans sa folie, il n'a pas la puissance créatrice du grand artiste, mais il ne se contente pas, comme le clochard, de simplement refuser le monde.

    Il rêve. Si cette statue n'était pas venue occuper mes pensées, il l'aurai rêvée!


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  • La statue était toujours là, sombre encore au milieu de la nuit, brillante des traces de l'humidité de la brise marine.

    Il a attendu tout près d'elle que le soleil se lève et que, comme la veille, il l'éclairé en lui retirant son châle de nuit ; qu'il efface le passage de la brise nocturne.

    Ses gestes étaient très lents, tant chaque instant était profond. Il a posé ses mains sur elle, sur ses omoplates, puis il a commencé un lent mouvement, montant jusqu'à ses épaules, comme pour lui masser doucement le dos. Il avait l'impression de lui donner quelque chose de son souffle et de partager un peu de sa chaleur, que le soleil lui apportait de plus en plus généreusement

    A-t-il volontairement embrassé le cou dévoilé par le chignon? N'était-ce pas plutôt partie intégrante du mouvement de massage, de cette sorte de communion avec la pierre? Il a senti la chaleur sur ses lèvres, en même temps que sur les paumes de ses mains, et il a continué, heureux, longtemps.


    Un voile de nuages a rompu le charme en le ramenant au monde réel. Est-ce que sa solitude n'était pas plus grande dans cet abandon de tout qu'était sa confusion avec la pierre?

    Quelle importance! Une erreur commise tout au long de sa vie a été de ne savoir aller jusqu'à la quintessence d'un instant qui l'attire, qui l'interpelle, au nom d'idées toutes faites sur le futur, des devoirs à accomplir, des positions à prendre ou ne pas prendre en fonction de quelque chose d'autre que lui-même et que l'instant. Renoncer à un vouloir pour tenir un rôle, pour ne pas faillir à une image que, conscient ou pas, volontairement ou pas, il porte et projette et qu'à force de ne pas correspondre à la réalité, il ne sais même plus pourquoi, au nom de quoi, il la porte!

    Il avait une fois décrit la solitude comme trop de mémoire de soi-même; La solitude n'est-ce pas plutôt être sans soi, se forcer à vouloir occuper une peau dans laquelle on ne sait pas réellement se couler, dans laquelle on ne trouve pas sa joie, mais qui est le signe de notre intégration à une culture, à un cadre, à une entité?

    La recherche des origines, vouloir à tout prix se relier à quelque chose n'est ce pas renoncer à se réaliser soi-même, au gré des possibilités qu'offre le parcours de vie que l'on suit, en partie librement, en partie obligés?

    Justement, la petite part de liberté que la vie nous accorde, n'est-ce pas cette possibilité de choisir un arrêt imprévu, un passage non  balisé parmi les  ronces,  sans  autre raison que l'impulsion de l'instant, hors toute autre considération?


    Il avait   l'impression   d'argumenter   face   à   Elle,   de   répondre tardivement à ses questions.

    La nuit approchait.  Il avait passé tout ce temps si profondément absorbé par la statue et ses lentes caresses sur son dos, qu'il ne s'était pas rendu compte de l'écoulement des heures.

    Il a regardé autour de lui avant de partir, vérifié qu'il était bien seul, puis il reprit, comme la veille, la route indirecte pour maintenir un jour de plus son secret,  si jamais il venait à rencontrer Elle.


    Les jours de ces vacances passaient sans qu'il ne s'en rende compte. Il n'avait pas vu Elle depuis qu'il avait découvert la statue. Il revenait toujours, nouveau centre du Monde, vers le Méandre. Presque toujours pour être près de la Statue, la caresser, lui parler. Toute sa vie, ses souvenirs, ses secrets, ses projets sont partis dans le vent susurrés doucement sur le dos de cette nouvelle amie silencieuse.

    Parfois, il allait dans l'une des petites plages qui bordaient le Méandre, depuis lesquelles on ne voyait que les herbes dansant au gré de la brise. Il aimait écrire sur le sable, juste entre deux vagues, des morceaux de vieux poèmes, très souvent les mots: Je l'aime!, vite effacés par l'eau et le roulis de pierrailles. C'est un de ces jours là qu'Elle se montra à nouveau.


    Pourquoi écrivez vous sur le sable des mots qui seront tout de suite effacés? Avez-vous peur que quelqu'un ne les lise? Vos pensées sont-elles tellement fugaces, tellement éphémères qu'elles ne durent que le temps d'une vague chevauchant la précédente?


    Elle souriait, c'était donc certainement une forme d'humour. Mais lui était  à la fois comme rassuré de la voir, le monde extérieur existait donc toujours, et en même temps mécontent de peur de voir son intimité avec la statue se perdre.


    J'ai suivi vos pas sans les emprunter, jusqu'à cette plage, après avoir visité le haut du Méandre. Vous avez tellement marché autour de la statue qui se trouve là qu'elle est presque déchaussée.


    Vous avez vu la statue?


    Il  s'est rendu compte que sa question était stupide, mais les mots sont sortis de sa bouche sans qu'il puisse les contrôler. Plus qu'une question, c'était la constatation de la fin du secret, de la fin de cette sorte d'amitié exclusive et resserrée qu'il avait vécu pendant ces quelques trop courtes journées.

    Elle n'a pas répondu. Elle semblait contente de le revoir, à moins que son sourire n'ait été que le geste entendu d'avoir capté ses vraies pensées sans même qu'il dise grand-chose.


    Je suis partie quelques jours, mais je reprends mes vacances, alors, je reviens vers cette plage et ce sable que vous avez si gentiment accepté de partager avec moi. Ce soir je dois rentrer tôt, mais demain je vous suivrai dans vos pérégrinations.

    Profitant de mon absence, vous avez dû tout découvrir et, même si vous ne me dites rien, je saurai où va votre regard, je verrai tout.

     A demain.

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