• Voilà quelque chose qui commence de manière brumeuse. Comme ma tête en ce moment, que voulez-vous.

    Ca part d’une bonne intention : J’ai envie, j’ai besoin d’écrire quelque chose, de me dire : oui, mon petit, tu es encore vivant, ta cervelle n’est pas entièrement liquéfiée, la preuve, voici une petite histoire qui va sortir du néant par ta simple volonté, faute d’idée géniale préalable et reconnue comme telle.

     

    Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait vrai. Je me force, depuis un bon moment, à lire les petits textes que publie un hebdomadaire, signés par des écrivains reconnus. Ou du moins, ayant déjà publié plusieurs choses. Des petits textes sur commande, pas trop longs, deux ou trois pages format hebdo, au goût et au gré du signataire.

    Eh bien! C’est encourageant, car à une ou peut être deux exceptions près, j’arrive à la fin avec la même soif qu’au début et sans sentir le moindre chatouillement qui pourrait me laisser penser que la lecture en question m’a apporté quelque chose, même si je ne m’en aperçois pas tout de suite.

    Je ne veux pas vraiment dire que je suis capable d’en faire autant, quoique. Vérifions !

    Je me demande si mon problème, la difficulté que j’éprouve parfois à écrire n’est pas due à ce que je place la barre un peu haut.

    Non que ce soit une mauvaise chose ; Qu’il s’agisse d’un écrivain encore secret et inconnu comme moi ou un artiste consacré et recherché, placer pour soi-même la barre très haut, sans se laisser aller à la moindre peccadille est une nécessité, une bonne chose pour soi et certainement bien plus pour les autres, pour les pauvres lecteurs, obligés d’ingérer parfois un amer jus d’alphabet dévitaminé pour se retrouver assis sur le même caillou qu’au départ.

    Donc, mon truc n’est pas tout à fait gratuit et on pourrait même me soupçonner de cacher, derrière l’introduction pleurnicharde, un petit sentiment de supériorité sur ces histoires textuelles. Alors, essayons de passer la barre, déjà dans un premier temps avec un contenu qui ne soit pas, à mon tour, une soupe insipide de la même eau que celle que je brocarde.

     

    Je me suis cependant engagé au départ avec un « sans titre » qui m’oblige et me conditionne.

    C’est un effet de ma franchise et de mon infantilisme ; Tous les conseils pour écrivains en herbe vous rabâchent: ne commencez pas par le titre, ne donnez pas un nom à votre truc avant de l’avoir fini. Vous trouverez alors les mots les plus représentatifs, les plus succulents dont la succion avec plaisir par le lecteur est le tremplin pour le succès.

    Je m’envole, en quelque sorte, sans filet ni filin qui puisse m’éviter un crash violent, alors que non seulement je manque de titre, mais même de sujet.

    Mais si j’avais marqué Sans Sujet en tant que titre, vous ne seriez même pas arrivés jusqu’ici.
    Et puis, j’aime bien laisser un peu de suspense, faire participer le lecteur à une sorte de jeu interactif bidon, le poussant à deviner de quoi il pourrait s’agir et donc le faire participer à mon bourrage de ligne.

     

    Mon sujet, tel qu’il commence à se dégager, vous l’avez certainement déjà aperçu, navigue entre deux récifs dangereux: D’un coté, l’angoisse existentielle de l’écrivaillon que l’on nomme de la page blanche. Ca vous connaissez. De l’autre, sous couleur de dire : Certains écrivent n’importe quoi, de se perdre dans la critique, jamais nette d’un peu de jalousie d’autres plumitifs, autant que des lecteurs ou lecto-consommateurs qui attendent trop en nombre et trop en contenu de ces pauvres proto-vedettes, obligés de se saigner le cervelet pour maintenir un minimum de présence, sans laquelle, ils se dissolvent progressivement.

    Je ne sais plus combien de textes sont publiés annuellement dans un petit pays comme le nôtre ; Mais surtout, je ne sais pas combien de ces textes résultent de la volonté vraie du manieur artisanal de plume et combien sont des produits industriels, destinés tout juste à faire passer le temps aux voyageurs du Métro sans leur faire perdre la raison ni rater leur station.

     

    Je suis donc au bord du précipice, je me passe le nœud coulant au cou avec cette histoire de sans titre. Dois-je continuer à avancer vaillamment, les yeux bandés et le nez en l’air ou dois-je céder à l’appel du panier aussi attrayant, aussi traître parfois que les sirènes d’Ulysse ?

    Remarquez que, ici, avec une falaise qui se profile devant l’écrivain marcheur, j’ai de quoi dérouler un long passage entre la possibilité d’une chute imminente et celle de le voir enfin s’envoler, avec ses petites ailes collées à la cire, comme l’autre, à la recherche de quelque chose à dire enfin, sans s’approcher de trop du Soleil des écrivains pour ne pas finir en petit Grec.

    Je vois déjà l’enfilade de qualificatifs que je pourrais placer là, sur la falaise abrupte, sur la couleur des roches saillantes prolongées par de vieilles branches sèches, cassantes pour celui qui croit pouvoir s’y accrocher pour ralentir sa chute ! Je peux même vous décrire en fin de dégringolade une mer bleue, malheureusement glaciale et envahie de récifs coupants.  Bref, le bonhomme on le trucide d’une manière ou d’une autre, selon votre goût.

    Vous avez entendu parler des récits à tiroirs ?  En fait c’est cela, on vous met à disposition pour le même prix plusieurs développements,  tant qu’à faire, plus saignants les uns que les autres et vous choisissez celui qui a votre préférence. En somme, vous devenez complice sans l’avoir demandé et ayant payé pour en être.

    Donc, je vous évite ça aussi.

    Pas de tiroirs, mais une ligne ni limpide ni réellement droite, tracée de ma petite main esseulée, entre les deux périls à éviter: Celui de la page blanche salie, sans sens, bien que pleine de gribouillis  et celui de la critique de ce que font d’autres et que je saurai mieux faire.

     

    Foin de couardises, avançons vers la chose non nommée.

    Je vous disais tout à l’heure que je cherchais à faire sortir du vide, par un simple effort de volonté, quelque chose. Ce n’est pas tout à fait exact, l’affaire du vide. Sans aucune prétention, j’écris en m’appuyant sur ce que ma mémoire accumule depuis des années-livres et plus encore des réflexions, des positions, des idées que les apports des autres m’inspirent. Je le fais en pensant que cela peut être utile à quelqu’un.

    A moi, déjà, en m’obligeant à fixer sur le papier des choses, des idées, au sujet desquelles je ne pourrais plus dire que je flotte encore, que j’évalue, que je soupèse. A quoi m’aurait donc servi l’expérience, en plus des lectures, si je n’étais pas même capable d’avoir des points de vue personnels, des opinions, au minimum des suggestions!

     

    Ecrivaillon que je suis, j’ai toujours un sujet en tréfonds de tout texte : L’écriture. Elle est l’Alpha et l’Omega de mon existence. Cela n’a pas toujours été ainsi, mais dès que l’on enfourche ce cheval, impossible d’en descendre, il faut trotter.

    Ecrire, donc, pour les artisans de ma corporation est un but en soi, une respiration vitale, le moteur du sang qui autrement s’arrêterait de couler et nous laisserait morts débout sur le seuil de nos cabanes misérables.

    Ecrire n’est pas seulement un but en soi, mais c’est déjà un contenu. Les mots, bien sûr et si possible bien ciselés et bien alignés, mais des mots qui s’échappent des dictionnaires, imprégnés qu’ils sont, enduits de chacun de nous-mêmes, emplis de nos secrets comme de nos cris, de nos joies comme de nos peines, de nos vanités comme de nos incompréhensions.

    Puis, ils s’adressent toujours à quelqu’un, à un inconnu même s’il est ami, parent, voisin. Inconnu car c’est toujours une sorte d’agression, d’entrée par surprise chez lui, que de lui faire partager par la lecture quelque chose dont il devient co-auteur sans le vouloir. Vous ne mesurez pas la gravité de l’acte qui consiste, pour vous, de prendre connaissance de l’écrit d’autrui !

     

    Je reviens à mon Sans titre. Mon vide, d’où s’échappent des vapeurs de formes changeantes au gré des regards, de la proximité et de la technicité de celui qui veut en déterminer la composition. Ce vide est une soupe essentielle, un magma où mijotent tant et tant de concepts, d’idées glanées ici ou là, dans mon cas, sans ordre préétabli ; Des expériences, des joies et des amertumes, résidus de mes balbutiements permanents pour tenter de vérifier maladroitement, de transmuer en vérités, mes hypothèses toujours relatives, toujours incomplètes malgré la force dont je peux user à les énoncer.

    Ce volcan, que dans mon intimité j’appelle Milan, fait bouillir dans cette soupe du Jeu, des Pensées, du Rêve et des images de Temps. L’écriture qui suinte de ma plume saute de l’un à l’autre, selon l’inspiration du moment, selon le contexte.

     

    Aujourd’hui c’est le jeu qui m’encadre. Le jeu de l’absurde apparent qui est en fait ma réalité de l’instant ; Le jeu qui conduit à donner un sens par antiphrase à ce qui dans les mots qui se déroulent n’en a pas.

    Je ne cherche ni à vous perdre, cher complice ni à vous égarer. Au contraire, en montrant les cartes je ne fais que lever un peu l’énigme, faire en sorte que le résultat ne puisse être qu’un, sans équivoque puisque tout est dit et tout est visible.

    Aujourd’hui je n’ai à dire que je n’ai rien à dire et c’est justement cela qui ne se nomme pas. Pourquoi le nommer, puisqu’il ne mène nulle part, puisqu’il ne signifie pas, sauf que, cette écriture est gratuite et qu’elle n’a d’autre ambition en marquant ce chapitre, que de nous libérer, vous et moi, d’un non sens.

    Pour pouvoir peut être demain, ayant purgé cette lacune, faire sourdre, si possible, du rêve ou, qui sait, des Pensées.

     

    © Jorcas                                                                     

     

     

     

     

     


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    Tout le tralala!

    Hymne national, musique militaire, tapis rouge, garde républicaine à cheval.

    J’ai été reçu en France vraiment dans les règles.
    Il était temps car je commençais à perdre patience et dans ce cas je ne garantis rien ; je peux réagir brutalement au moment le plus inattendu et alors ce sera trop tard pour faire marche arrière.

    Je retourne heureux à mon royaume. Le plus beau pays de la terre, et je ferais voir à tous mes sujets la réception qui m’a été faite.

    La Colline aux Condors, c’est mon pays, se trouve en plein milieu des Andes à un endroit qui a été évité par les deux Libérateurs sud américains : San Martin qui venait du sud et Bolivar qui venait du nord. Ils savaient par leurs espions que mon pays était imprenable, que personne ne l’avait jamais colonisé et que donc il était inutile de fatiguer leurs troupes pour rien.

    C’est à cette époque que mon arrière, arrière, arrière grand père, Comandant des Condors, comme nous appelons dès cette époque le chef de notre Etat, a réalisé la grande œuvre qui aujourd’hui encore nous met non seulement à l’abri du besoin, mais aussi de tout possible nouvel ennemi : le Passage du Requin.

    Je ne peux pas vous dévoiler la méthode utilisée par mon AAAGP Commandant des Condors. Secret d’Etat. Jusqu’alors, nous étions enclavés parmi les plus grandes montagnes andines, sans accès à la mer.

    Comme notre pays était peu peuplé, les habitants se contentaient de la nourriture que les Condors, enrôlés dans un corps d’armée spécial, allaient chercher à grande distance et déposaient chaque midi sur le Temple de la Vie des Condors. Mon AAAGP Commandant des Condors a vite compris qu’avec la vie facile que menait notre peuple, bien nourri, toujours en fête, jamais fatigué, il allait continuer longtemps à faire une grande quantité d’enfants et qu’un jour, faute de condors en nombre suffisant  pour chercher la nourriture, il allait droit à la famine.

    Il entreprit, après de longs et savants calculs qu’il fit seul dans son palais en comptant sur ces doigts, la construction du Passage du Requin : Un tunnel qui plonge en plein milieu de la Mer du Sud, à trois mille mètres de profondeur et qui de l’autre coté vient déboucher dans un lac artificiel construit dans notre plus grande vallée. Depuis cette époque nous avons la mer au milieu de nos montagnes et notre peuple est devenu pêcheur en Mer Propre.

    Une grande écluse contrôle le niveau de l’eau, ce qui est aussi notre arme défensive : En cas d’invasion  on l’ouvre jusqu’au niveau 6 et seul quelques pics très élevés, ceux où nous avons construit les abris pour les cas désespérés, restent hors d’eau.

    Si une invasion venait à se produire les envahisseurs seraient noyés.

    Et au niveau 6, les requins passent en quantité de la Mer du Sud à notre Mer Propre et ne feraient qu’une bouchée de ceux qui seraient encore dans l’eau.

    Nous n’avons pas d’Ambassadeurs. Nos relations extérieures étant faites seulement des sourires que nous adressons à tout le monde, nous n’avons pas besoin d’un corps diplomatique. De temps en temps, en tant qu’actuel Commandant des Condors je fais un tour du monde portant des sourires et des cadeaux dans les pays que je visite afin que l’on sache que nous sommes toujours vivants et heureux dans notre Colline aux Condors. Et j’aime bien être reçu correctement, car je sais que c’est votre façon à vous de sourire aux étrangers.

    Lors de ma première visite, j’ai apporté à Paris, en cadeau, une dent d’un requin que nous avions pêché juste à la sortie du Passage du Requin.
    J’ai été très honoré de savoir que les français ont décidé de mettre notre cadeau, bien cimenté, au milieu d’une grande place, la place de la Concorde, ce qui en français, veut dire, Place du Sourire.

    Le ministre des grands voyages, qui fait voyager beaucoup de français vers les pays de l’Ouest des Andes a craint qu’ils prennent peur s’ils apprenaient que les requins de la Mer du Sud avaient des dents aussi grandes. Alors il a préféré dire qu’il s’agissait d’un Obélisque qu’un fier général français avait ramené d’Egypte, ce qui ne fait plus peur à personne.

    Je comprends que c’est une question d’ordre public, alors je n’ai rien dit et j’ai accepté la photo joliment encadrée qui m’a été offerte, avec  le ministre et moi bras dessus, bras dessous, à coté de la dent.

    Pardon, de l’Obélisque.

     

    © Jorcas

     

     


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    Boite en carton, cachette de songes lavés par la pluie

    Le sage, d’un doigt menaçant, me montre le danger

    Dans ma précipitation, je tourne la tête du mauvais coté

    Je n’aurais pas de recours à ma peine

    Je n’aurais pas droit au lit douillet pour âmes tendres

    Ce sera sur les rugosités du sol, nuit après nuit

    Ce sera des coups de poing contre la porte en bois

    Ce sera l’heure des cris, l’heure des nuits rouges

    Quelque part dans le couloir abandonné par le silence

    Les noms gravés dans le mur n’ont pas d’ancêtre

    Ni d’enfant porteur de message sans objet

    Demain un oiseau me dira peut être le contraire

    J’imiterai son chant pour m’envoler sans laisser de trace

     

     


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  • S’il vous plait, je voudrais un stylo-plume merveilleux, à encre rose, capable d’écrire de lui-même quelques menus romans tendres à me lire le soir, avant mon sommeil.

     

    Je crains, madame que vous fassiez erreur. Il est bien marqué papeterie sur notre façade, mais nous ne vendons que du papier d’emballage spécial mensonges creux. Vous voyez de quoi je parle ? Celui que des amoureux en mal de rupture viennent chercher pour faire passer  le contenu douteux de leurs dernières promesses. Même celui des Don Juan de bas étage chasseurs de vendeuses de supermarché en mal d’amoureux.

    Nous vendons aussi des cartes postales trompeuses, avec promesse à l’endroit et démenti poli à l’envers.

    Nos spécialités sont le contraire de ce que vous cherchez.

     

    Vous me surprenez. C’est un ami bien sous tout rapport et qui ne me veut que du bien qui m’a donné votre adresse. Il avait gardé une carte de visite prise sur votre comptoir la dernière fois qu’il est venu ici faire ses emplettes. Il ne saurait avoir d’erreur, il s’est marié hier avec la sœur de mon cousin après lui avoir envoyé la liste de ses désirs ardents écrits avec une plume de chez vous et enveloppés dans votre papier.

     

    Dans ce cas, je vais vous faire porter une fiche de réclamation à envoyer au fabriquant. Il peut bien sur arriver qu’un lot, initialement conçu pour des fins de non recevoir ai été mal dosé et produise un attrait irrésistible au point de conduire au mariage. Le cas est prévu.

    Il faudrait envoyer la réclamation rapidement, de préférence avant que le mariage ne soit consommé car le remboursement des dommages se limite au prix payé et ne couvre pas le besoin de layette qu’il puisse en résulter.

     

    Je suis très, très ennuyée. Figurez vous que profitant du mariage de la sœur de mon cousin j’avais prévu d’inviter son ancien ami à me tenir compagnie pendant que le stylo que je projetais d’acquérir nous contait des choses douces et enveloppantes. Mais alors, si le mariage est rompu, elle reviendra à ses premiers amours et je me trouverai toute seule encore une fois.

     

    Peut être pourriez vous nous acheter une collection d’anciennes promesses non tenues que vous envelopperez avec notre papier spécial numéro 7 et vous ferez parvenir au Monsieur en question de la part de son ancienne amie, tout en lui suggérant de venir tester avec vous ce que ces promesses pouvaient avoir d’intéressant si elles étaient tenues par quelqu’un d’autre. Vous par exemple.

    Je vous fais un papier cadeau pour le tout ou chaque chose séparément ?

     

    Ce n’est pas la peine. Je prends le tout en l’état et je vais le mettre sous ses draps, où il les trouvera ce soir. Mais si cela ne marche pas vous me rembourserez le tout ?

     

    Si cela ne marche pas, venez me voir de suite, à condition qu’il n’y ait pas eu de consommation là non plus. Je vous ferai une carte de fidélité et un bon de remboursement pour votre prochain achat.

     

    Merci, madame. Vous êtes vraiment un amour !

     

    Oui, enveloppé avec notre papier spécial.

     

    © Jorcas

     

     


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    Je rêve souvent de brancher ma tête directement sur mon clavier pour y transcrire sans délai les idées qui me viennent plutôt que de les renvoyer à plus tard, après avoir trouvé un moment, puis mis en route l’ordinateur, puis attendre qu’il veuille bien clore son circuit de vérification et, après m’avoir béni, me permettre enfin d’accéder à un programme et me mettre à taper.
    Lorsque j’y arrive enfin, mon idée a maigri, s’est affadie, ses couleurs sont un peu décaties et c’est alors du travail méticuleux, un peu poussif, de recherche aux tréfonds de mon cervelet des habits et atours de cette idée qui m’avait tant enchanté. Je deviens besogneux.

    Aujourd’hui c’est en lisant une petite nouvelle que je sentis m’envahir le besoin de me mettre à mon tour au four pour y cuire ma propre miche. Moins enlevée, mais elle m’est si nécessaire, si vitale ! Puis, même moins goûteuse, faute d’autre nourriture, je ne peux pas dédaigner la seule qui vient à mes doigts !

    L’objet du délit était une petite nouvelle de Romain Gary. J’ai d’ailleurs trébuché sur son nom même en me demandant quelle approche serait la bonne pour le nommer.

     

    Monsieur Gary, avec des accents de critique littéraire, cachant sous la prétention l’écart de génie. Mais cela ne prendrait pas ; Il y a long entre un passionné de lecture et un critique littéraire, et je n’ai pas le toupet de comparer ma besogne à la fluidité de M. Gary. Et j’aime le lire.
    Romain, alors, jouant le vieil ami rompu à cette familiarité et accepté comme tel. Il me faudrait cacher le décalage d’âge et d’époque qui feraient vite voir mes fausses plumes rapportées sur la peau pour me parer de cette image.

    Gary tout court, avec l’allure d’universitaire méritant ou de journaliste pseudo-familier. Pas fameux non plus et parfaitement inutile.

    J’ai donc repris ma lecture avec mon vieux chapeau informe ne ressemblant à aucun autre. J’en suis resté à Romain Gary, non pour faire apparaître une quelconque déférence, que je lui accorde bien volontiers lorsque nous parlons littérature, mais au fond totalement inutile, car personne ne met en doute quoi que ce soit et ne pose pas la moindre question ou la moindre exigence à ce sujet.

     

    J’ai repris la lecture en m’extasiant autant sur sa qualité grammaticale que sur sa capacité à enchainer les qualificatifs sans que cela devienne pesant. Et sur les longs détours par des lieux ou autour de ses personnages.

    C’est une tentation permanente pour moi, vite réfrénée par la peur de paraître tout de suite vieilli, anachronique, trop éloigné de la réalité, de l’ambiance, du goût de mon époque.

    Mais il y a un grand charme à ces couleurs du ciel, à ces formes des mains ou des corps.

    Pourtant le sujet est tout autre : comment justifier à soi-même la voie suivie toute une vie parce qu’elle s’est présentée à soi, parce qu’elle plaisait à ceux à qui l’on voulait plaire, ou du moins on pensait qu’elle leur plaisait. Parce qu’elle semblait plus simple, mieux tracée, moins aléatoire que celle qui nous attirait au fond de nous-mêmes. Celle-ci l’élue du cœur  qui nous promettait des possibles joies profondes en échange de fortes douleurs garanties. Comment cacher que c’est la peur de ne pas être à la hauteur, de ne pas réussir, de ne pas atteindre le nirvana auquel on aurait voulu être sûr d’être destinés qui a guidé notre choix réel.

     

    Son personnage à lui a des mains d’artiste. Pour certains de peintre ou de sculpteur ; pour d’autres de musicien. Mais il n’est rien de tout cela. Il caresse longuement, lentement des objets d’art sans répondre à la question secrète : Aurais-tu su faire mieux ? Tes propres créations t’auraient-elles donné plus de satisfaction, plus de plaisir ?

    Je connais ces questions: on se répond en même temps oui ! et peut-être pas ! Bien sûr, j’aurais pu ! et je me suis tout de même pas mal tiré dans ce que je suis aujourd’hui.

    Oui, oui, mais dans notre siècle, artiste, c’est tout de même autre chose, créateur. En grand: CREATEUR, cela vous renvoie une toute autre image de votre séjour sur terre.

    Romain tourne le problème sans lui donner une réponse. C’est d’ailleurs que vient le bruit qui empêche d’entendre la réponse. Et tout cela en promenant les yeux sur des objets merveilleux, d’une qualité artistique extraordinaire et doux à l’âme. La musique même vient au secours de l’artifice pour éviter de se prononcer. C’est trop. La beauté du paysage, la qualité des objets, la sonorité des instruments. Comment derrière tout cela discerner la plainte de l’âme, sentir la plus grande douleur du cœur, se pardonner à soi même réellement, en se regardant en face, de ne pas avoir osé, d’y venir finalement, c’est promis, même si c’est un peu tard, si l’on se fait vieux, si les yeux ne sont plus aussi pénétrants ou les mains moins habiles.

    Mais on y viendra tout de même.

    Dès demain. Je me le promets à moi-même !

     

    Gary, Romain Gary, Romain, ou moi-même, peu importe au fond si l’on parvient au terme de la quête.

    Pour chacun de nous, la lecture des textes des autres, le regard long, profond, impitoyable de leurs toiles, le toucher savant, vérificateur des formes sculptées, est, à nos cœurs apprentissage, exercice, chemin à tenter. Bien sûr il y a des aigris pour qui la jalousie ne laisse de passage qu’à la haine, mais ce n’est pas l’essentiel et ils ne comptent pas trop. La jalousie envers celui qui a su parcourir le chemin est un sentiment qui n’habite que des pseudo-artistes, des simili-créateurs. Ce qui est essentiellement en jeu n’est pas d’être aussi grand que tel, aussi bon que tel autre, mais d’être de la famille, de savoir que l’on a en commun le même gène qui permet de voir que le monde est effectivement bleu comme une orange.

     

    J’en étais là de ma lecture. Admiratif des couleurs de la mer qu’il voyait, que je voyais avec lui. De la beauté de cette petite sculpture dont ses doigts  suivaient les contours et révélaient à son esprit la forme des courbes, le rugueux de la pierre. 

    J’en étais là et je reprenais à mon compte le cours de sa narration, transposant dans ma mer à moi le bruit des vagues, qui m’endormaient la nuit. Je me rappelle aussi avoir tenu dans mes mains nombre de bois taillés par ces petits artistes de mes Caraïbes aimés, d’avoir suivi en détail la forme, chaque courbure, chaque incision dans le bois qui me parlait avec ses mots à lui, partagés, du sable, du soleil brulant, des mangliers.

     

    Je ne sais plus à quel moment j’ai pris peur de la route épineuse. Je ne sais pas quand ai-je compris qu’il fallait manger et que manger m’empêchait de courir les sentes que j’affectionnais. Et puriste, idéaliste, je ne voulais pas que mon art espéré puisse être contaminé par ce besoin.  Je me sentais un peu comme ces combattants de l’ombre qui préfèrent peu savoir de peur de ne pas tenir sous la torture. Bien sur, là je ne courais pas de tels risques, mais je vivais la même angoisse.

    Mon enfant n’a survécu qu’en cachette, à des moments perdus, lors des ruptures du cours ordinaire des choses. Seulement lorsque j’ai été, un court instant, comme suspendu de moi-même. 

     

    Romain, lui, son personnage de fiction, avait un chauffeur qui venait le chercher chaque matin pour le conduire à son travail, à sa fonction productive. Un homme intelligent et fin qui savait détecter les moments ou il fallait faire un détour, le mettre en face, comme par hasard, avec une œuvre accomplie, qu’il aimait saisir dans ses mains.

    Mais c’était la même affaire, la rupture du quotidien, du fastidieux de l’obligé.

    Suis-je réellement de la même famille ? Lorsque mes doigts caressent ma belle angolaise je ressens, comme lui, l’espace laissé par le burin, ces creux qui dessinent ses cheveux comme mes propres entailles. Bien plus encore, mes errances par les sables des Caraïbes, mes mots, sont-ils les cousins lointains, la petite famille de ses paroles dans le Bosphore ? A lui ou à un autre ?

     

    Angoisse, angoisse. Lautrec comparait son désespoir devant la toile au cours de latin qu’il n’arrivait pas à maitriser. Et Cervantès se plaignait des dons de poète que les cieux n’avaient pas voulu lui accorder. Que devrais-je donc dire !

     

    Puis un livre s’ouvre et la magie des mots me saisit. Pas des questions, alors, je m’y enfonce, je me dissous dans le texte comme s’il émanait de ma main, comme s’il n’était que mon instant présent. Je le vis plus qu’un acteur, car je ne joue pas, j’en fais mon suc.

    Et je cours à mon clavier, je me répète les mots inspirés en attendant sa fastidieuse mise en état, l’affront de me faire attendre, ravaler les paroles qui ne demandent qu’à éclore au nom d’une stupide procédure technique. Faire attendre l’art ! Quelle mauvaise technique !

     

    Le poids de mes mots est insignifiant, mais les lire et les relire me transporte à nouveau vers ce paradis instable, précaire, vers le cortège familial.

    Je vous y invite, venez donc quelques instants partager ce voyage.

     

    © Jorcas

                                      

     


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