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    J’ai mis une journée toute entière à me préparer.  Habits, contenu des poches, serviette étroite façon cadre bancaire, avec peu de place. Rien que pour des papiers importants.

    J’é suis allé chez le coiffeur juste quelques heures avant. Il ne faut pas qu’un seul détail dépare de l’image à vendre au premier coup d’œil. Après ce serait trop tard.

    Le rendez-vous avec l’autre partie avait été pris par mon avocat. Un nom connu de la place car cela aussi pouvait être un facteur de poids.

     

    Il faisait froid. Temps clair d’hiver.

     

    Tout était en place.

     

    C’est alors que mon BlackBerry  se mit à vibrer. Je me suis arrêté de marcher sans en avoir pleine conscience. Je n’avais pas prévu un appel à un moment pareil et cela ne devait donc pas se produire. Ce n’était pas un bon signe.

    De la vibration on est passé à la sonnerie. Lorsque le destin insiste avec une telle force, inutile de chercher la fuite, il faut faire face.

     

    J’ai décroche et de ma voix la plus ferme, la plus neutre mais aussi la plus assurée, j’ai prononcé lentement : Oui ?

     

    Mon avocat avait lui aussi une belle voix. Je le soupçonne de s’entrainer chez lui ou de prendre de cours chez un animateur radiophonique. J’ai été moi-même tenté de le faire. Toujours la chasse au plus petit détail, la recherche de la perfection.

     

    Bonjour cher ami, je suis content de pouvoir vous joindre à temps. Vous n’êtes pas encore arrivé à destination, je pense. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise nouvelle, mais le rendez-vous est retardé de quelques jours. Une affaire urgente à Frisco, m’a dit sa secrétaire, qui l’a obligé à partir sans retard il y a un petit instant.

    Elle m’a aussi annoncé le fax qu’il m’a adressé juste avant de se précipiter vers l’aéroport et que je reçois à l’instant. Il est question du prix à prendre en compte. Voulez vous venir déjeuner avec moi d’ici une heure ? Je vous attends dans mon bureau.

     

    Un Martini blanc sec. Sans olive, je vous prie. Il me fallait du tonus pour faire face à toute éventuelle mauvaise passe du destin, mais l’olive au fond du Martini avec son petit bout de bois tout contre son noyau me met mal à l’aise. J’imagine un saint italien sous la torture romaine.

    Me voilà prêt à encaisser les coups les plus bas.

     

    Merci, mon cher d’être venu si rapidement. Notre interlocuteur m’a donc prévenu d’un petit problème surgissant juste au moment où il se préparait à vous recevoir. Entre gens du monde, il y a des petites choses difficiles à supporter, mais la vérité doit toujours s’imposer, vous en êtes d’accord !

    L’importance de l’affaire exige d’ailleurs qu’aucun aspect ne reste dans l’ombre. Voici le thème de sa communication :

     

    Lorsque nous nous sommes abouchés par l’intermédiaire de nos conseils, il n’a pas été précisé avec assez de netteté ce qu’il adviendrait du résultat de nos négociations. Le prix, d’ailleurs, a été convenu sous hypothèse d’un unique exemplaire. Or, après une étude minutieuse de la documentation, il appert qu’il en est rarement ainsi et que le plus fréquent est qu’il y ait plus d’un, parfois bien plus.

    Dans ces conditions, le risque de mon coté a été considérablement sous-estimé et je souhaite que le prix que nous avons convenu soit celui d’un seul exemplaire. Nous le dirons prix de référence.

    Par conséquent, le prix à payer, fonction du résultat, sera le multiple de ce prix de référence par le nombre d’exemplaires.

     

    J’ai bu lentement mon Martini. Il n’était pas question de savourer, mais de remonter ma température interne, de donner un coup du meilleur tonus à mon corps.

     

    Vous vous rendez compte, mon cher, que cela a un double inconvénient ? Tout d’abord, je ne peux pas savoir à l’avance ce que tout cela me coutera et c’est très agaçant. Et le coût peut varier de manière substantielle ! Je ne sais que faire.

     

    En tant que votre conseil, je ne peux que vous inciter à réfléchir en considérant le pour et le contre. Oui, cela fait peser une inconnue importante pendant un certain temps sur votre débours. Par ailleurs, j’ai cru comprendre que pour votre épouse c’était une question vitale. Elle se sentirait exclue de sa société si elle ne parvenait pas à sa fin.

    Alors, il faut choisir. Conserver la rondeur de votre porte monnaie ou confirmer à l’autre partie que vous acceptez.

    Le caniche nain blanc mâle de votre épouse aura le droit de monter le caniche nain femelle au pédigrée unique, pelage couleur  rose bonbon appartenant à l’autre partie jusqu’à ce qu’elle en soit grosse et ce qu’il naîtra de cet accouplement appartiendra entièrement à votre épouse. En contrepartie, vous réglerez autant de fois le prix de référence qu’il y aura des canichets lors de la mise bas.

     

    Ne faites pas cette tête. Vous aurez comblé une femme en satisfaisant son caprice entièrement, ce dont elle vous sera reconnaissante et qui sait, vous trouverez peut-être preneur à un bon prix pour ceux que vous ne garderez pas.

    Le plaisir n’a pas de prix !

     

    © Jorcas

     

     


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    J’ai ouvert la porte sans faire du bruit. Juste assez pour laisser passer un peu de jour encore frais. Il n’y avait personne, le silence occupait encore tout l’espace.

    C’était un rituel de chaque matin, avant que les enfants ne sautent de leur lit avec les premiers cris. Avant qu’il soit question de devoirs, d’obligations, de contraintes.

    A cette heure, les rues commençaient à peine à se dérouler, à sortir du cocon de la nuit, qu’elles vivaient comme une épreuve. Les trottoirs non plus, n’étaient pas encore en place, seuls quelques oiseaux cherchaient  le bon emplacement pour une nouvelle tentative de nid.

    Je pouvais alors être entièrement dans mon mystère, vivre sans cacher l’autre forme de mon corps, la plus ancienne, celle que j’avais hérité de tous les âges anciens vécus sous des noms différents.

    La vie parallèle était la spécialité de ma famille depuis toujours. Je n’avais aucun besoin de me travestir pour être un autre. Et tant pis si vous ne me croyez pas, c’est la pure vérité.

    L’horloge du salon sonne le quart, c’est le signe convenu. Je fais venir sur moi le masque ordinaire. Si vous me croisez dans la rue, votre regard insistant sera inutile, je vous ai déjà trop dit. Mais n’ayez aucune crainte,  je ne me nourris que de fantômes, jamais d’humains ni de chiens.

     


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    Tu viens nous aider à faire un bonhomme de neige ?

    Pas question de dire non. Les enfants font semblant de poser une question qui n’est qu’une requête sans échappatoire.

    Et la suite des instructions tomba : Trouve-nous une pipe,  une carotte pour le nez,  un vieux balai à lui mettre sous le bras. On prendra des pierres pour faire le reste : Une grosse ronde pour la bouche et deux plus petites pour les yeux.

    Le plus âgé des deux frères commença à accumuler la neige pendant que le plus jeune préparait une sorte de socle. Quant à moi, par reflexe, j’ai commencé à faire des boules de neige.

    Qu’est-ce que tu vas en faire, de tes boules de neige ?

    Bonne question, le petit. Je ne sais pas. J’ai commencé à faire des boules comme ça, sans raison précise.

    Dis moi, il y avait déjà de la neige quand tu étais enfant ? Tu as déjà fait un bonhomme de neige, au moins ?

    A vrai dire, je suis né sous les tropiques. La neige on voyait ça au cinéma, mais pour ce qui est de jouer avec, impossible. Je faisais des châteaux de sable.

    C’est idiot, ton histoire. Quel rapport entre un château de sable et un bonhomme de neige ?

    Bon, tu vas nous servir de matrice. Comme tu n’es pas très grand, ce ne sera pas difficile pour nous. Mon frère a une caisse sur laquelle nous pouvons monter et nous serons à ta hauteur.

    C’est à dire, que je suis frileux. Rappelez-vous, les tropiques ! Et je ne savais pas qu’on faisait les bonshommes de neige comme ça !

    Aucun argument n’était recevable pour les deux sauvages et je me suis retrouvé sur le socle, bien droit, alors que les deux se relayaient pour me couvrir de neige.

    Tu n’as pas beaucoup de ventre. Essaie de le sortir au maximum. Un bonhomme de neige doit être bien rond.

    Au bout d’une petite demi-heure j’étais méconnaissable sous mon habit de neige. Je tenais la pipe entre mes dents. La carotte me chatouillait un peu mon vrai nez et avec les pierres plaquées sur la figure, devant mes yeux, je ne voyais plus rien.

    C’est alors que j’ai entendu une voix, ma propre voix, me dire tout doucement : Tu as une drôle de mine. C’est une chance que je veille sur toi, que je te réchauffe un peu. Mais maintenant il faut se mettre au travail.

    Dans ce pays, le bonhomme de neige est une tradition pour la fête des enfants. D’après l’histoire, il va se poster à l’entrée de la forêt, sur le chemin qui mène à l’école et il attend les enfants. Dès que la cloche sonne, tu verras, les enfants partent en courant à sa rencontre et commence la bataille de boules de neige.

    Chaque enfant a le droit d’en jeter trois sur le bonhomme et lui, il a le droit de jeter six sur chaque enfant.

    Si le bonhomme de neige tombe ou est enfoui sous les boules, il a perdu et il reste là, comme une pancarte, jusqu’à la fin de l’hiver et la fonte des neiges.

    S’il réussit  à faire fuir les enfants il a gagné et il a le droit d’aller tout de suite dans une des maisons du village se faire fondre devant la cheminée.

    Mais c’est une affaire de sauvages, cette histoire. Je ne sais pas qui tu es, mon ange gardien, un rêve que je fais à l’approche de la mort certaine qui m’attend, un ami que je ne connais pas, peu importe. Aide moi à sortir de là et je te promets que je vais courir si vite que je serai au bord de la mer avant la nuit !

    C’est trop tard. Tes muscles à toi sont maintenant en hivernation. Tu ne peux fonctionner qu’avec les muscles du bonhomme de neige et lui ne marche qu’avec la tradition. Donc, tu vas marcher doucement, d’un pas de boule de neige, jusqu’à l’orée de la forêt et là, attendre la cloche.

    Je vais t’aider à esquiver les boules, te prévenant à temps et à lancer les tiennes correctement. On fera comme à l’artillerie : Je te dirai les degrés et plus haut ou plus bas.

    Le son suivant parvenant à mes oreilles était celui de la cloche.

    Quelle bataille ! La voix était efficace ; je n’ai pris sur moi que quelques boules vicieuses impossibles à éviter, mais les miennes étaient d’une grande précision et au bout d’un moment, dans un grand hurlement collectif, les enfants s’enfuirent vers le village.

    J’ai choisi la maison du Maire pour me décongeler. En tant que premier magistrat de la commune il avait une certaine responsabilité dans la conservation des coutumes, fussent elles barbares. C’est donc dans son salon, face à sa cheminée et sur son tapis que je perdis mes eaux en donnant naissance à moi-même.

    Je suis revenu à la civilisation et à la chaleur aussi rapidement que j’ai pu.

    Depuis, je cours les journaux, les magasines, les éditeurs pour faire connaître mon histoire.
    Rien à faire. Il y a en même qui m’ont menacé de me mettre à la porte avec un coup de pied dans le derrière si je ne partais pas de suite et de mon propre fait.

    Je me demande pourquoi. Elle est bien réelle et fort belle, mon histoire.

    © Jorcas

     

     

     


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    Les mots s’accumulent dans ma mémoire, au fond de ma gorge, au bout de mes doigts. Mais ils ne parviennent  pas à s’enlacer, à avoir un air de famille, un sens. Je suis obligé, comme maintenant, de les aligner les uns après les autres, un à la fois, en les défiant de se trouver seuls une raison d’être.
    Bien entendu, cela ne sert à rien, sauf à me donner l’illusion du démiurge en train de mettre en place le monde.

    Une remarque linguistique et sans rapport  apparent: Dans mon dictionnaire, démiurge vient juste avant demi-vierge. Il pourrait donc être légitime de déduire que le démiurge n’est pas vierge du tout ou au contraire, qu’il l’est pleinement et définitivement, ce qui me gêne un peu pour un créateur/géniteur.

    Je reprends le cours précédent des choses, et je m’adresse maintenant aux mots plantés à la queue-leu-leu tel que je les ai laissé au sortir, comme on dit, bruts de décoffrage, du bout de mes doigts. Et je leur demande. Alors, vous voyez que cela sert à quelque chose, un auteur ? Quel sens aurait votre enfilement si je ne pourvoyais pas au bon ordre de vos positions qui, seul, vous m’entendez, seul vous donnera une signification ?

    Ils ne disent rien mais je sens qu’ils rougissent, qu’ils s’épient les uns les autres pour voir si l’un d’entre eux a une idée pour répondre. Rien, vous voyez ? Rien du tout. Ils sont ma chose ! Moi seul peux les faire exister autrement que comme des déchets.

    Alors, je sens en moi une sorte de flamme qui m’inonde et me réchauffe, une espèce d’orgueil de posséder un tel pouvoir : que ces amas de lettres puissent être compris, portent le message que je leur fait l’honneur de leur confier, à tout lecteur plus ou moins attentif posant  les yeux sur eux.

    Et c’est là que la chose se gâte, est terrifiante, gênante, blessante même : Ce pouvoir insensé logé quelque part dans mon cerveau me paralyse. J’ai le sang, ardent il y a peu, qui se glace dans mes veines –je sais, c’est un lieu commun, mais je le vis actuellement- bloquant du même coup mon intellect et mes mains. Je ne sais plus comment m’en sortir, comment prouver devant vous ma puissance en donnant un sens intelligible à ces mots barbouillés, je n..  pe..  arg !!!!!!

     

    © Jorcas

     

     


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    Hier soir, une amie m’a fait lire un auteur que je ne connaissais pas. Une découverte !

    Je n’ai  pas la prétention de connaître tous ceux qui écrivent. Ni même tous ceux, bien moins nombreux, qui sont lus. Et pour réduire mes limites, même pas ceux qui sont lus par mes amis, c’est dire !

     

    Donc, j’ai lu cet auteur. Mon problème maintenant est de vérifier ce qu’il raconte. Plus exactement, chercher la parade au danger qu’il relate.

    Je m’explique :

    D’après lui, chaque jour qui passe, dès qu’un oiseau ou même un canard –ça dépend des régions- vole un peu  près des nuages, il sert de point de visée pour un sombre Djinn qui profite pour gober un homme ou une femme, cela change d’un jour à un autre, pris au hasard.

    Peut importe le pays, ni le moment de la journée, ni les occupations de la cible. Dès qu’il est dans la rue, c’est une victime potentielle.

     

    Mon amie, justement, va à pied à son travail, tous les jours, et elle traverse un magnifique jardin avec des arbres grouillant d’oiseaux de toutes les variétés. Et d’autres personnes passent habituellement par le jardin en question, qui est un bon et beau raccourci entre deux quartiers de la ville.

    Le problème est qu’elle croisse de moins en moins de monde. Que des gens qu’elle voyait tous les jours, eh bien, ils ont disparu !  Et il y a aussi moins d’oiseaux.

    C’est exactement ce que l’auteur en question dénonce : Le Djinn nous mange du monde sans que nous sachions comment nous protéger !

     

    Mon amie ne sort plus sans une ombrelle de couleurs sombres, au tissu très épais, qui empêche de voir d’en haut ce qu’il y a dessous. Jusqu’à présent la diversion est efficace, mais combien de temps tardera le Djinn à comprendre la manœuvre et siroter mon amie, ombrelle comprise,  comme un crabe qu’il attraperait sur la plage ?

    Je me permets d’ouvrir dès à présent un lieu d’échange et d’informations sur le sujet, car le problème est grave. Toutes les informations sérieuses que quelqu’un pourra nous donner sur la manière efficace de contourner le danger aura les remerciements éternels de mon amie.

    Et les miens, car si je ne sort jamais à pied dans la rue, je l’aime bien, cette petite, tout de même !

     

    © Jorcas

     

     


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