•  

    La lampe éteint la vie tout alentour. Un simple bouton et plus rien. Pas un seul souffle.

    Il y avait un corps, là, tout à l’heure. Il parlait à voix haute, comme les petits enfants qui jouent et font le monde en même temps.

     

    Demain, disait-il, je planterais un arbre au centre de mon jardin. Un bel arbre, avec de larges branches chargées de feuilles d’un vert pur. Il portera les nids de tous les oiseaux. Il fera de l’ombre pour les amis qui me visitent.

     

    Il disait tout ceci sans s’arrêter de marcher autour de la pièce. Sans cesser de regarder par une fenêtre que la nuit avait fermée bien avant les volets. Mais lui savait ce qu’il y avait à voir, ce qu’il devait voir, alors son regard se jouait du métal des volets et allait à son but.

     

    Demain, dès que j’aurai planté l’arbre, elle viendra par la petite porte au bout du jardin, celle qui donne sur la ruelle. Je sais qu’elle préfère celle-là non par timidité, mais parce qu’elle la trouve jolie. Elle est plus petite. Son bois est tout rugueux et n’a plus de couleurs factices. Il ressemble à du bois. Elle la trouve romantique et d’y passer chaque jour lui donne un souffle frais à son cœur, m’a-t-elle dit. J’ai baptisé la porte de son nom. Mais je ne le dis à personne. C’est un secret entre elle et moi.

     

    Il continue de tourner autour de la pièce. Il sait que certains jasent, qu’ils le prennent pour fou, pour pas ordinaire, à être toute la journée enfermée. Il y a toujours un livre sur le lutrin qu’il a installé sur son bureau.

     

    Un lutrin! Bavassent  quelques uns. Pour quelle raison ?

     

    Comme s’il fallait une raison pour chaque chose qu’un être fait dans son intimité. Il en avait une, pourtant, mais qu’il n’avait dévoilé qu’à elle. Par peur d’accroître encore les bavardages.

    Il avait un tableau peint par un ami mort depuis longtemps qui représentait Don Quichotte assis devant une table ordinaire, lisant épée à la main un livre de Chevalerie qu’il avait posé sur une espèce de lutrin fait avec d’autres livres. Il avait voulu ressembler à cette image. Voilà pourquoi il ne lisait ses livres que posés sur le lutrin.

    Son ami peintre avait été longtemps persécuté pour des raisons politiques. Interdit de peinture, vous vous rendez compte ! Mourir en vie.

    Le tableau, une épreuve pour une édition du Don Quichotte, était signé d’un faux nom. Il a été retenu et a illustré l’édition. Le tableau était un souvenir et un hommage à l’ami disparu.

     

    Demain, lorsqu’elle repartira j’irai jusqu’au village faire mes adieux aux habitants. Je ne suis pas sûr qu’ils le méritent,  mais c’est une affaire de politesse et je ne veux pas que mon image puisse être ternie sous aucun prétexte. Encore moins pour des raisons insignifiantes.

    Je préviendrais que quelque ami garde ma clé et visitera de temps en temps la maison pour qu’elle ne cesse pas d’exister. Inutile de faire des histoires si de temps en temps les fenêtres sont ouvertes, alors que je ne suis pas revenu.

     

    Cela fait longtemps qu’on ma raconté cette histoire. Dans un village de la Manche, chez ma mère. Et tout doit être vrai car j’ai reconnu à la description qui m’avait été faite, la petite porte romantique qui porte maintenant gravé son nom : Dulcinea.

    Et dans la maison, derrière une fenêtre dont les volets étaient ouverts, j’ai vu une vieille table avec un lutrin posé dessus et qui portait un beau livre ancien bien relié et ouvert je ne sais pas à quelle page.

     

    © Jorcas

     


    votre commentaire
  •  

    J’ai ouvert le livre à une page quelconque, sans préméditation et  sans avoir eu connaissance de ce sur quoi j’allais tomber.

    La description du personnage, dans les premières lignes, m’a paru familière, comme si je l’avais déjà lu. Mais ce n’était pas cela. J’ai continué à lire, envahi de plus en plus par un sentiment bizarre d’inquiétude et de déjà vu, sans prendre encore conscience de la réalité.

    C’est à la fin de la première page lue –mais cela n’a pas d’importance, c’est seulement un détail factuel, gratuit – aux toutes dernières lignes de la page que j’ai senti en moi une sorte de transmutation : je devenais une page d’un livre.

     

    C’était faux, cette sorte de réalité intérieure qui ne se voyait pas au dehors. J’avais encore un corps normal, le même de toujours, mais dedans j’étais devenu un magma de vieux chiffons écrasées et blanchis en feuilles de papier,  pressées comme les pages du livre que j’avais entre mes mains.

    La raison était simple, ce livre, écrit par quelqu’un que je ne connaissais pas, parlait de moi. Il racontait ma vie, déchiffrait mes sentiments les plus intimes, dévoilait mes expériences de toute sorte.  

     

    Furieux et curieux en même temps, j’ai cherché les coordonnées de l’éditeur et grâce à une secrétaire aimable obtenu le téléphone de l’auteur, que j’ai joint sans délai. Cette voix ! C’était ma voix, son inflexion, le timbre, la manière de répondre en décrochant, tout à fait moi.

    Je me suis présenté à lui et, sans lui donner le temps de parler, lui ait dit tout le mal que je pensais de son acte, manifestement malveillant et de mon courroux. Ça ne se passera pas comme ça !

     

    Monsieur, m’a-t-il dit, je trouve votre plaisanterie assez minable. Vous êtes un potache peu inventif. Heureusement pour moi, je sais très bien qui je suis, je sais très bien pourquoi j’ai écrit ces quelques aventures vécues et décrit quelques traits marquants de ma personnalité. Si vous voulez vous faire passer pour moi, libre à vous, mais je dénoncerais toujours la supercherie. Et il a raccroché.

     

    Cet homme qui n’était pas moi et qui était manifestement moi, ne me prenait pas au sérieux ! J’ai ramené mes bras sur ma poitrine et, comme un livre que l’on ferme, je me suis posé doucement sur la table de travail, coté quatrième de couverture. J’ai alors relu le titre du livre : Derrière mon miroir.

    J’ai éteint la lumière et pleuré seul sur l’absence de tombe,  ma disparition, ma mort parmi quelques pages de notes légales et un index.

     Je ne saurais jamais si j’ai vraiment vécu ou si je suis simplement  le reflet d’un corps sur un bout de glace.

     

    © Jorcas

     

     


    votre commentaire
  •  

    Une ballade en pénichette, j’en avais envie depuis longtemps.

    L’idée de voir différemment les choses, d’avoir une autre image du paysage. Le défi pour nous, tellement citadins, de la toute petite vitesse.

    Nous allions passer quelques jours, voir deux semaines, à naviguer. Une vraie régénération !

    J’ai loué le modèle le plus simple à maîtriser. Le but  était de vivre ces quelques jours calmement, sans stress et de plus, je n’avais pas la moindre idée de navigation, ni en mer ni sur  rivière. Donc aucun risque à prendre.

    C’est ce qui m’avait enchanté de ces petites unités électriques, rien à savoir au préalable, juste quelques instructions simples à respecter et faire attention. Pour ça, on pouvait me faire confiance. Non seulement je n’allais pas me muer en Corsaire d’eau douce, mais de plus, je ne suis pas un risque tout.

    Et nous voilà partis, à la vitesse d’un grand-père allant acheter son pain en vélo, heureux de voir le monde à hauteur d’herbes, défiler comme dans un ralenti.

    Le tout aussi sobrement que possible. Pas question de céder à la tentation de nous acheter des casquettes de capitaine vieux loup des mers, ni de nous mettre à la bouffarde pour avoir l’air plus authentique. Rien d’extravagant, ni sabre en carton ni  perroquet sur l’épaule.

     

    Le passage de la première écluse a été à peine moins marquant pour nous que la traversée de la mer Rouge a dû l’être pour Moïse. Il nous a bien fallu une bonne heure pour nous sortir de l’obstacle et encore, grâce à la patience de l’éclusier –il était blasé des craintes et peurs des amateurs en pénichette- et à ses conseils minute à minute ;

    Il n’y avait pas de quoi le faire savoir aux agences de presse, mais tout de même, dans le premier village venu, à quelques centaines de mètres de l’écluse, notre engin bien amarré je suis allé acheter une bonne bouteille et quelques bontés de charcutier pour fêter l’événement. Nous étions encore vivants malgré l’épreuve. Le monde n’avait qu’à bien se tenir.

    Pas mal, pour une première journée, ces quelques heures de navigation, le rapetissement de l’obstacle surmonté vaillamment et une fin de journée au meilleur champagne rosé que j’ai trouvé chez l’épicier de l’Ecluse!

     

    Tôt le lendemain, j’étais déjà à la manœuvre pour reprendre la promenade. Mon inexpérience et ma prudence allongeaient considérablement les opérations de décrochage du bord et de remise en route, mais le  plaisir de savourer le travail en était d’autant plus fort.

    Voilà à nouveau l’émerveillement des paysages découverts depuis notre observatoire mobile. Et du repérage culturel en identifiant le clocher d’une abbaye qui devait bien figurer sur mes carnets d’art Roman. L’avantage d’un cours d’eau est que l’éventuelle erreur sur le nom et la position du clocher ne risque pas de conduire vers des écueils rocheux. Quelle joie que d’imaginer le péril lorsqu’on n’a pas à craindre de le rencontrer ! C’est de la bravoure bon marché, je suis d’accord, mais pourquoi ne pas pimenter nos vacances d’une petite fantaisie sans conséquences et de nous offrir un ersatz de frisson. Presque comme au cinéma.

     

    Nous avons continué les jours suivants à notre rythme de sénateurs en commission de travail, visitant là tel village et son château, ailleurs, une bonne étape gourmande pour vérifier si la réputation des spécialités locales n’était pas surfaite. Un vrai plaisir de parcourir ainsi lentement ce pays dit profond, qui n’est en fait que lui-même. La dernière écluse ne nous prit que quelques minutes, tant nous devenions adroits.

    C’était une bonne chose, car peu après l’écluse, j’avais une adresse d’un bon petit restaurant. Pas question d’arriver trop tard.

    Et il valait mieux avoir tout le temps de sacrifier à une petite sieste après le repas qui promettait d’être bon, avant l’étape de l’après midi, dans cette partie un peu étroite de notre chenal.

     

    Notre pénichette bien amarrée, la sieste nous a remis en état de poursuivre.

    Avec l’adresse que j’avais acquise en si peu de temps, je lâchais les amarres, remis mon moteur en route et pris le cap.

    Pour quelques mètres seulement.

    Nous voilà bloqués au centre du canal, malgré le moteur en route. Je suis parti à l’avant pour voir si je voyais quelque chose. Et j’ai vu.

    Je prends du temps pour vous le dire, car vous ne me croirez pas facilement : notre vaillant navire était bloqué par une baleine venant en sens contraire ! Jeune et têtue, elle avait appuyé son front contre notre proue et compensait largement par des petits battements de queue la faible force de notre moteur.

     

    Voilà qui n’était pas prévu dans le petit manuel du parfait navigateur que m’avait donné le loueur et de mémoire, je ne me rappelais pas que les baleines aient jamais eu pour pratique, comme des vulgaires saumons, de remonter les cours d’eau.

    J’ai pris mon courage à deux mains pour me pencher sur la proue et entamer un dialogue avec ma souffleuse. J’ai crains un moment de devenir un nouveau Jonas, mais elle ne montrait pas trop ses fanons et ne semblait donc pas me considérer comme une crevette appétissante, ce qui facilitait nos affaires. Du moins les miennes.

     

    Toujours penché sur ma proue j’ai opté pour le geste le plus trivial : tout en lui parlant et lui faisant part de mon souhait de continuer, je lui caressais le coté de la tête le plus proche.

    Je ne dirais pas qu’elle m’ait montré ses fanons esquissant un sourire qui, pour une baleine ne pouvait qu’être large, mais toujours est-il qu’elle se laissait dériver un peu sur le côté, comme si elle avait voulu me laisser le passage libre.

     

    Et de fait, l’espace devenait suffisant pour poursuivre la navigation et mon moteur n’ayant pas arrêté  de tourner, la pénichette continua enfin sa route longeant la grande demoiselle.

    Je suis parti en poupe pour reprendre la barre et regarder la baleine, qui de son coté à fait demi-tour et s’est mise à la queue leu leu de mon navire.

    C’était inattendu. Je ne sais pas s’il nous restait des écluses à passer avant de déboucher dans le fleuve, et si oui, je me demandais comment faire pour expliquer à l’éclusier que je ne promenais pas ma baleine comme on sort son chien et que le bel animal m’était inconnu quelques heures auparavant.

    Le fleuve n’était qu’une petite rivière côtière, tout juste navigable par des embarcations aussi peu imposantes que la mienne. Mais le paysage n’était plus le même, ce n’était plus l’œuvre de l’homme, le canal bien cerné par des palplanches que les plantes avaient eu la bonne idée de recouvrir, mais des vraies rives, pierreuses aux formes capricieuses et quelque peu sauvages.

     

    Ma baleine à dû sentir que l’eau n’était plus aussi douce, que la mer se trouvait quelque part, à quelques coups de queue. Elle est venue à mes cotés, avec son œil à hauteur de mon bastingage et, me rendant le geste de tout à l’heure, s’est frotté contre la pénichette nous faisant danser comme si nous étions en haute mer. La voilà qui, à son tour, elle nous caressait pour nous remercier de l’avoir conduit vers la sortie. Je lui avais servi de fil d’Ariane !

     

    Je me suis amarré dans le dernier ponton disponible, juste sous l’affiche qui enjoignait les pénichettes à faire demi-tour, et ne pas se prendre pour des navires de mer.

    Ceux qui me regardaient le long du quai n’ont pas compris à qui j’envoyais saluts et baisers, ni pourquoi une baleine faisait des allées et venues en parallèle à la côte, avec des grands coups de queue, comme si elle saluait.

    © Jorcas

     

     


    votre commentaire
  •  

    Pas évident du tout de faire comprendre que je n’en étais pas responsable de ce qui arrivait. Comment aurais-je pu faire prendre aux éléments une telle tournure, rien qu’avec mes paroles? Pourtant, mon nom était partout, dans les commentaires des médias, sur les murs. Les gens me regardaient avec crainte lorsqu’on me croissait dans la rue.

    J’ai téléphoné au bureau pour m’inventer un malaise qui n’était pas constaté par un médecin. Non je n’avais pas eu le temps encore, je le ferais venir dès que possible et enverrais par la poste les papiers qu’il établirait. Oui, je suis au courant de ce qui se dit, mais c’est faux, je n’y suis pour rien. Oui, j’ai l’intention de reprendre mon travail normalement dès que je serais guéri. Oui, je vous préviendrais.

     

    Le jour J, la radio annonçait en continu le nombre de kilomètres de bouchon créé par les voitures qui sortaient de la ville en toutes directions dès l’aube. Les trains dans les gares, le métro, les tramways étaient vides et d’ailleurs à l’arrêt, faute de conducteurs. La radio continuait à émettre car le studio était un peu en dehors de la ville et il s’était trouvé quelques reporters, les plus jeunes, qui avaient accepté de défier les craintes et parcouraient en moto la ville pour donner des nouvelles de l’état des choses.

     

    Lorsque le soleil s’est couché, les bruits habituels s’entendaient de plus en plus marqués. Tout le monde revenait, la plupart heureux, d’autres, ceux qui s’étaient posté dans les hauteurs des collines environnantes pour pouvoir tout voir, déçus, mécontents de cette fatigue pour rien. La petite rivière qui serpentait au fond de la vallée suivait son cours habituel, aussi légère en eau que d’habitude.

     

    La prophétie  du conte que j’avais publié, dans lequel j’annonçais que la mer, ce jour là, remonterait la rivière brutalement  et inonderait au moins les quartiers bas de la ville, peut être plus, ne s’était pas réalisée. C’était, disais-je dans l’histoire, une vengeance de Neptune à la suite de l’extension du port qui avait enlevé à la mer une bonne petite surface pour  abriter les bateaux de plaisance. Avec un humour de la même veine j’avais signé « Luciférus, fils de Neptune »

    J’avais négligé le fait qu’à cette époque de l’année les médias ont peu de choses à dire et montent en mousse le peu qui leur tombe sous la dent pour remplir les pages et combler les minutes de transmission. En quelques semaines mon histoire était citée partout, des extraits étaient publiés et commentés sans me prévenir  jusqu’à en faire le sujet le plus martelé par les uns et les autres.

    Des experts se succédaient pour donner leur avis compétent sur la possibilité de voir se réaliser le phénomène et peu à peu seuls ceux qui affirmaient  la chose tout à fait plausible avaient la parole.

    Oui, la mer allait au jour dit inonder la ville et pas mal la détruire par la mauvaise manière faite par ce Luciférus  fils de Neptune, qui aurait dû être chassé de notre douce vallée depuis bien longtemps !

     

    Lorsque j’ai voulu reprendre le travail on m’a fait savoir qu’il n’était pas question que je remette les pieds dans le bureau. La justice m’a convoqué pour répondre de troubles à l’ordre public. Mes voisins ont tous attrapé un torticolis à force de tordre leur cou lorsqu’ils me voyaient même de loin.

     

    J’ai dû m’exiler  dans ce petit village du pays voisin où les pêcheurs ont une petite effigie d’un Neptune souriant  avec une barbe en forme de vagues de mer. Par prudence, j’ai changé de nom. Maintenant je signe mes histoires  « Poséidon »  C’est moins connu.

    © Jorcas

     

     


    votre commentaire
  •  

    Playa Grande. Ce matin, en pleine saison sèche, il fait déjà très chaud. Mes petits camarades ne sont pas encore levés. J’ai toujours été le plus lève-tôt. Commencé mes jeux en solitaire. La nécessité en a fait une habitude.

    Je suis intrigué par la dunette qui s’est formée contre la grande touffe d’herbes à la limite de la plage, sur le chemin du Vieux Port. Je ne suis jamais allé y jouer, mais passant près tous les jours avec Téran, lorsqu’il conduit son tracteur jusqu’à la zone où il travaille maintenant, je l’ai vue se former et grandir.

    Avant que la touffe d’herbes ne s’enracine, le vent emportait tout ce sable sur la route et Téran était obligé de la nettoyer toutes les semaines. Ouvrier astucieux,  il avait planté cette herbe comme un test, pour voir si elle retenait le sable. Si c’était bon, il ferait une barrière tout le long de la route

     

    Ca marche, pour le moment. La question est de savoir qui ira le plus vite, si l’herbe pour pousser ou le vent pour accumuler le sable. Et le vent s’arrêtera-t-il lorsque l’herbe aura fini de pousser ?

    Mais les vacances seront finies. Je retournerai à l’école et lorsque je reviendrai, il aura tout remué avec son tracteur pour lisser la dunette. Ou planté des arbres. Il m’a dit que dans son village, en Espagne, ils mettaient des pins pour que le vent ne déménage pas les dunes, alors lui, il en mettrait peut être pour en fabriquer, des dunes.

     

    Je ne suis pas parti par la route. Ce n’est pas drôle de marcher sur le bitume où il n’y a rien à voir. De l’autre coté, dans les cocoteraies c’est plus intéressant, mais je n’ai pas le droit d’y aller ni très envie non plus. Les gros crabes des cocotiers ne sont pas sympathiques et lorsqu’ils se mettent en formation d’attaque, ils me font peur. Je ne suis pas le seul ; j’ai vu mon oncle courir dans sa voiture une fois qu’il les a trouvés sur la route. Dommage parce que il y a aussi des iguanes, belles pas très grandes et si gentilles sous leur air terrible pour faire peur aux filles.

     

    J’ai pris mon chemin préféré, par le bord de mer. C’est plus long, mais sautant sur les rochers j’inspecte tous les flaques que la marée haute a laissé pour voir celles qui ont des petits poissons. Et je reviendrais tout à l’heure avec mes amis, comme tous les jours, pour en pêcher quelques uns avec un mouchoir.

    Je tournerais juste avant le chantier naval. Ca non plus, je n’ai pas le droit. Depuis que le petit Louis s’est planté un clou dans le pied en courant autour d’une barque en construction, nos parents nous ont interdit d’y aller jouer. Mais il y a toujours des beaux morceaux de bois à ramasser. Et j’adore le bois.

    Je ne prends pas souvent du bois sec, comme celui qu’ils utilisent. C’est du bois civilisé, coupé droit en rectangle. Mais parfois ils cassent des planches et je trouve une drôle de forme que je vais améliorer avec mon canif.

    Je préfère les bois que rejette la mer. Surtout près des mangroves, où la mer arrache lorsqu’elle est furieuse, des vielles racines qu’elle polit.

    Il y a un vieux noir qui en prend, lui aussi mais pour y tailler des oiseaux. Il m’a dit que ça lui venait de l’Afrique, avant que l’on fasse venir ici le père du père de son père, ou quelque chose comme ça.

     

    Il n’est pas encore là ce matin. S’il y en a de tordus, je les laisserai là pour lui ; c’est les meilleurs pour faire ses figures. Pour moi, tout est bon, mais je ne peux pas en prendre trop à la fois. C’est lourd et mon tas de bois, caché avec du sable un peu plus loin que notre tente, commence à se voir. Ma mère n’aime pas que je ramasse tout le temps du bois. Mais moi j’aime.

     

    La dunette était comme une petite muraille de sable. Le soleil tapait en plein sur le flanc, alors j’ai un peu creusé pour me faire un banc frais et pouvoir m’asseoir. C’est comme ça que j’ai trouvé le trésor.

    Je n’avais jamais vu des petites pierres arrondies de cette couleur. Quant la mer est forte, elle rejette parfois des galets, mais plutôt plats et pas aussi beaux. J’allais épater mes copains dormeurs avec cette trouvaille !

     

    Lorsque je suis arrivé, ils étaient tous installés au restaurant pour le petit déjeuner. Je crois que mon père venait d’arriver, alors je ne me suis pas fait gronder d’être toujours n’importe où, seul.

    Pour le petit déjeuner, nous nous installions tous à une grande table, sur le bord de la terrasse qui donnait vers la mer, le coté le plus joli. Il faut dire que le restaurant était un peu primitif. A l’époque et là-bas, pas de normes, pas de contrôles. Il y avait une cuisine, ouverte de tous cotés, il fallait bien ventiler avec la chaleur ambiante. Et deux grandes terrasses couvertes avec les moyens du bord d’un toit sommaire, sans murs. La pluie était peu fréquente, alors pourquoi faire des dépenses inutiles.

    J’ai eu du succès, avec mes amis, en sortant de ma poche les pierres colorées. Ils étaient admiratifs de ma récolte matinale, moi qui le plus souvent ne les honorait que des minuscules crabes gris de sable, que je mettais dans un verre en papier puis le vidais sur la table du petit déjeuner.

     

    C’est Téran qui les a vu le premier et a alerté mon père. J’en ai pris pour mon grade, à vouloir toujours découvrir le monde et faire n’importe quoi.

    Mes petites pierres de couleur ont fini à la poubelle et en mauvais état.

    C’était des œufs de serpent ! Et dans ce cas là, les adultes sont bien plus terrifiés que les enfants. Chacun voyait là les œufs du plus dangereux des serpents, le plus rapidement mortel. J’avais frôlé le pire, pour eux ; mais moi je crois que ce n’étaient que des œufs de couleuvre. 

    En tout cas, je suis devenu un héros pour mes amis.

    Le dompteur de dragons.

    © Jorcas

     

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique