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    C’était une belle journée, chaude, même, pour un mois d’automne.

    J’ai repris la même route que d’habitude pour ma promenade. Pourtant, je me sens l’âme d’un petit découvreur. Parfois j’aime bien chercher des nouveaux endroits, changer  d’horizon.

    Sans excès, tout de même. D’abord parce que je ne m’éloigne jamais trop de mon hameau; Quelques kilomètres, mais pas plus. C’est suffisant pour que la lumière ne soit plus la même, pour que les perspectives changent.

    Ma chance c’est cette montagne qui me fait face. Tantôt d’un vert tendre, parfois d’un faux bleu. Le matin le soleil l’éclaire violemment de mon coté, découvrant le fond de ses rides, des petits ruisseaux miroitants. Les après midi sont magiques. Les ombres l’envahissent progressivement et chaque arbre, chaque petit promontoire s’allonge mystérieusement, comme dans un conte pour enfants.

     

    Il est à peine 4 heures de l’après-midi, moment spécial, lorsque les ombres commencent à s’allonger dans ma montagne. Je me suis assis sur cette pierre qui m’accueille si souvent dans mes ballades, pour respirer à fond, parfois, après une longue marche, ou tout simplement pour voir le soleil s’en aller, passer de l’autre coté, où je ne peux plus l’apercevoir.

    Un reflet brillant a attiré mon regard et m’a fait voir cette bête à Bon Dieu, juste devant moi. J’attendais qu’elle s’envole, mais elle ne bougeait pas.

    En me penchant, j’ai découvert que c’était un leurre, une fausse coccinelle collée sur une petite pierre grise polie. Je ne sais pas comment cette sorte de porte-bonheur a atterri là, certainement tombée d’une poche percée qui, elle, n’a pas porté chance.

    Je l’ai prise et l’ai posée sur mon pantalon le temps de regarder ma montagne s’assombrir  pour la nuit.

     

    J’ai senti un chatouillement sur ma jambe avant de faire attention au petit chuintement. Je n’ai pas eu le temps de me gratter avant de m’apercevoir que la demoiselle s’adressait à moi. Heureusement, car j’aurais pu lui faire mal involontairement !

     

    -Chuiii

     

    Voilà un terme qui, à premier abord n’a pas une grande signification, ni pour moi ni pour personne, à moins que des coccinelles n’écoutent mon histoire. Mais j’ai compris que c’était à moi qu’elle s’adressait et je me sentis obligé de faire un effort pour comprendre, c’est la moindre des politesses.

    Bien qu’elle n’ait pas eu, de son coté, la politesse de me laisser regarder la fuite de la lumière sur ma montagne jusqu’au bout, mais il se peut bien que les coccinelles n’apprécient pas autant que moi les changements de coloration des coteaux.

     

    -Chuiii

     

    J’avais l’option de me mettre à chuinter moi-même, mais faute de maîtriser la chose, j’ai crains que mon zézaiement non contrôlé ne m’amène à dire quelque chose d’incongru ou pire, de grossier ou de méprisant en langage bête à Bon Dieu. J’ai préféré prendre le parti du français, en articulant au mieux et sans trop élever la voix :

     

    -Bonjour mademoiselle, vous me voyez désolé de ne pas comprendre ce que vous me dites là, mais croyez que j’aurais aimé poursuivre cette conversation. Vous avez d’ailleurs des élytres magnifiques !

    -Vous pouvez parler normalement, ne me prenez pas pour une débile ; Je vous ai sifflé pour attirer votre attention, mais je parle couramment toutes les langues. Heureusement, car on ne sait jamais sur qui on tombe dans ce métier de porte-bonheur et si on ne peut pas se faire comprendre, alors autant rester gelée sur mon caillou poli, vous ne croyez pas ?

     

    -Bien sûr, bien sûr ; excusez-moi de cette entrée en matière cavalière, mais j’ai peu l’habitude de rencontrer des coccinelles porte-bonheur ; D’ailleurs, je vous ai prise  pour une bête à Bon Dieu ordinaire, si je puis dire. J’ai été un peu surpris de vous entendre chuinter.

     

    -Siffler !

     

    -Oui, pardon, siffler.

    Donc, vous êtes une sorte de génie, mais sans lampe à frotter ? Et que faîtes-vous sur ce chemin peu fréquenté ?

     

    -Je vous attendais. Je sais que dans la journée vous êtes un peu occupé mais que vous vous échappez l’après-midi pour dire bonsoir à votre montagne et c’était donc là l’endroit le plus approprié pour vous parler.

     

    -De quoi ?

     

    -De vous, de moi, des choses que nous allons faire ensemble.

    Parce que je ne suis pas un porte-bonheur ordinaire. Allez zou, je te mets dans ma poche et je vais acheter un billet de loterie et tu vas me faire gagner. Trop ordinaire, trop facile pour mon rang. 

    J’ai lu votre dossier dans nos archives coccinelle-thèques. Je sais que vous aimez cette montagne, que vous venez marcher sur ce chemin tous les jours, que vous ne vous éloignez jamais trop de votre petit village, mais que la nuit vous rêvez éveillé et vous vous imaginez en grand aventurier. Alors je suis venue vous faire vivre des aventures.

    Mais j’ai besoin d’en savoir un peu plus sur vous, notre bibliothèque a quelques manquants, malgré le soin que nous mettons à déchiffrer les vies et les rêves.

    De quelles aventures rêvez-vous ?

     

    -Je n’ose pas trop vous en parler. En fait, je n’en ai jamais parlé à personne et je suis même un peu gêné de savoir que quelque part on lit mes illusions nocturnes sans même m’en informer.

     

    -Vous n’avez pas à être timide avec moi. D’abord je ne quitte ma pierre que si j’aime bien mes cibles. Excusez-moi de vous appeler ma cible, c’est de la déformation professionnelle.

    Donc, pour me manifester il fallait que je vous aime un peu; J’étais obligée de me couler un peu dans votre tête. Je vous ai suivi dans vos déplacements sur ces chemins qui partent du village. C’est facile, car vous n’allez jamais bien loin, vous ne changez pas beaucoup vos habitudes, un peu routinières, un peu contemplatives. Vous rêvez éveillé, le jour par ici, en regardant le paysage, le soir dans votre lit.

    Et vous, si calme, si constant dans vos ballades, vous rêvez d’aventures, toujours d’aventures.  Je sais que c’est comme ça, mais je n’ai pas eu le temps de les déchiffrer, alors racontez-moi tout.

     

    -Je veux bien vous en dire un peu, Vous êtes si mignonne ! Et si convaincante !

    Lorsque j’étais enfant, quelqu’un m’a offert pour un anniversaire une collection de livres d’Emile Salgari.

    Alors, le soir, je partais avec lui dans la mer de Chine affronter les pirates, les tigres et les mille dangers auxquels il faisait face. C’est sûrement à cause de Salgari que j’ai une telle fascination pour la beauté des tigres.

    Depuis j’ai grandi et j’ai oublié presque toutes les histoires de Sandokan et je serais incapable de tuer quelqu’un, même un ennemi, même en rêve. Mais j’ai gardé une envie passionnée de voyages, de rencontres, de connaître ce qui ne ressemble pas à ce que je connais ici, des gens qui s’habillent autrement, qui mangent d’autres choses.

    Voilà ! Mon goût pour l’aventure est né avec Sandokan, mais n’a plus rien de commun avec lui, je n’ai pas d’ennemis, je n’ai rien à conquérir, je veux seulement connaître, voir.

    Malheureusement je ne peux pas partir d’ici. Je suis obligé de faire mon travail chaque matin, sans faute, toute l’année. Je ne travaille pas l’après-midi, mais je n’ai pas de vacances, je ne peux pas m’éloigner. On n’a pas marqué ça dans mon dossier ?

     

    -Je sais que vous ne pouvez pas partir avec vos jambes, mais vous pouvez le faire avec votre tête, un peu comme vous le faites le soir, où vous désirez tellement fort  vos rêves qu’ils se manifestent pendant la nuit, à peine avez vous les yeux fermés.

    Tout ce que vous avez à faire c’est de me suivre.

    Je vais aller jusqu’à la grande pierre, juste avant le tournant, vous la voyez ? Elle est cassée en deux, par un éclair, prétend-t-on dans votre village. Rejoignez-moi justement entre les deux parties de la pierre fendue.

    Cette pierre est une porte, une porte de rêve qui vous fait entrer dans une autre dimension, celle de vos pensées. Je ne vous propose pas de vous tenir la main, car vous abîmeriez mes élytres, mais de passer à coté de moi.

    Vous verrez, au-delà de la pierre, au début le paysage est le même, la même herbe, le même chemin, seule votre montagne sera absente, invisible, puis, insensiblement, tout doucement vous serez là où votre esprit vous emportera.

    Et vous pourrez mettre le pied dans un nouveau monde, conquérir des continents inconnus puis les parcourir, remonter les rivières larges au début, puis violentes, merveilleuses d’eau vive dans leur premier cours, escalader des montagnes et affronter victorieux, c’est l’avantage d’être l’auteur du rêve, des animaux sanguinaires qui finiront par vous faire allégeance, parvenir enfin jusqu’au cœur des empires sauvages et vous faire reconnaître leur Cid, ou plus moderne, une sorte locale de Laurent d’Arabie. Voilà des aventures qui vous changeraient de votre vie actuelle !

     

    -Ce sont des stéréotypes qui ne me correspondent pas. Aventure c’est aller au-devant de ce qui va arriver, pas conquérir. Je n’ai aucun désir de pouvoir à assouvir.

    Ce que je voudrais, c’est accoster avec mon bateau un vieux port en planches et, dès que j’arriverai au bord de la passerelle, me fondre au milieu d’une foule de gens paisibles et différents.

    Je voudrais les observer, comprendre leur langue, les accompagner dans leurs déplacements pendant qu’ils m’expliquent ce qu’ils font, quel est leur nom, leur métier, leurs amis.

    Je voudrais qu’ils m’apprennent leur écriture, une merveilleuse et artistique calligraphie, des signes complexes et puissants mais faciles à comprendre qui me disent l’histoire de ces peuples.

    Je voudrais admirer leurs estampes, ces visions nébuleuses de montagnes couvertes de végétations luxurieuses démesurées où des savants, des saints, des amis des hommes, comme Bouda sous son figuier, réfléchissent, pensent aux autres, récitent des poèmes doux, chantonnants.

    Je voudrais sourire et saluer ces femmes si belles, si douces, si tendres qu’elles m’aimeraient, même moi, elles tiendraient ma main pour me conduire à travers les villages et me faire découvrir encore d’autres paysages merveilleux, me faire goûter des mets qu’elles ont préparés pour un invité qui est leur ami, pas un étranger, pas un personnage, un ami, tout simplement, un vrai.

     

    - C’est presque du cinéma en grande salle, que vous espérez. Je vous ai peut être trop tôt imaginé en nouveau Tartarin, plus efficace.

     

     -Ce que je cherche dans l’aventure c’est la chaleur humaine sentie de près, ce qu’aucun cinéma ne sait encore faire. C’est le partage avec d’autres de ce qui leur est cher, participer à une autre vie que la mienne, non comme une fuite, je ne renie en rien mon petit village et j’y reviens toujours, comme lorsque je pars regarder le coucher de soleil sur ma montagne, mais je serais bien plus riche, je comprendrais bien plus de choses, j’aurais plus de bonheur en apprenant tout ce qui ne se trouve pas au détour de ma maison, tout ce qui n’est pas inscrit dans les pierres de ma ville.

    Si j’étais un nouveau Tartarin, ce serait par les choses que je pourrais raconter après les avoir observé, non pour me faire admirer, mais pour faire partager ce que j’ai appris. Voilà mon désir d’aventure.

    J’irai dans ce monde à moi et je rapporterai comme souvenirs uniquement ce que l’on voudra m’offrir de bon cœur, rien que j’aurai pu arracher, rien que j’aurai été seul à vouloir garder pour moi et qui ne me rappellerait que ma présence dans ce monde merveilleux alors que je veux que chaque chose que je possède me parle de ceux qui me l’ont transmise, donnée.

     

    Ma Coccinelle m’écoutait sans bouger. Etait-elle déçue ? Je ne pense pas, son métier est d’aider ceux qui la dévoilent à réaliser ses pensées, non à en avoir d’autres différentes. Voilà ce qu’est un bon génie.

    C’était son cas.

     

    -Allez donc dans ce mirage qui se réalisera pour vous. Vous n’avez pas besoin de moi pour le parcourir, vous avez en vous-même tous les moyens de le faire, une fois la pierre traversée.

    Moi, je vous attendrai là. Je serai juste dans la fente de la pierre, figée sur mon petit caillou poli. Prenez-moi, mettez-moi dans votre poche et gardez-moi toujours ainsi. C’est le seul don, le meilleur, que je peux vous faire, moi simple coccinelle.
     

    © Jorcas

     

     

     


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  • Ami lecteur : Deux semaines de promenade andalouse Je reviens autour du 15 novembre

     


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    Sonnerie de l’alarme de communication de la messagerie. Quelqu’un cherche à me joindre.

    Je ne suis pas très à jour dans son fonctionnement. Je n’aime pas ce système, mais comment faire. Il me faut bien tester tous les moyens de communiquer avec l’extérieur.

    L’extérieur c’est ce qu’il y a au-delà des murs de ma chambre.
    Pas une prison au sens formel. Une chambre ordinaire.

    Je n’ai aucune raison d’être enfermé là. Je veux dire, aucune raison physique. La porte est ouverte et il n’y a pas de verrou. Les fenêtres donnent sur la grande avenue. Pas de gardien, pas de surveillant. Que les murs.

    Et moi. Et mes pensées. Et mon ordinateur avec la page du journal à la date du moment. Je devrais écrire. Je devrais tout dire. Et je ne peux pas.

    C’est moi-même qui m’enferme. Je suis le plus dur garde-chiourme qui se puisse concevoir.

    Et je n’ai qu’un prisonnier à garder. Moi.

     

    Je n’ai pas conscience de m’être échappé de nulle part. Je n’ai rien volé, je n’ai violé personne. Je n’ai jamais fait autre chose qu’écrire.

    Mes livres se vendent correctement. Enfin, ils se vendent assez pour que je me disse qu’il y a quelques lecteurs qui aiment. Economiquement c’est une ruine. Je ne retrouve même pas le prix du papier sur lequel je fais mes tirages. Mais je ne m’attendais pas à passer à l’histoire. Et je ne sais pas faire autre chose.

    Un jour, j’ai reçu une lettre d’un lecteur. Il avait lu tout ce que j’avais publié. Il connaissait mes opus mieux que moi. Il me mettait au défi d’écrire une suite à trois de mes meilleurs textes  avec la contrainte de faire de lui le nouveau personnage central de l’histoire. A moi de me débrouiller pour le porter progressivement au cœur du récit.

    Il ne me donnait pas d’adresse postale pour lui répondre. Ni de téléphone. Juste une adresse de messagerie électronique par laquelle nous pourrions être en contact permanent.

    Je pourrais lui soumettre le moindre doute que j’aurais sur lui, pour pouvoir faire un personnage vraisemblable et aussi réel que possible.

     

    J’ai trouvé le défi magnifique. Je ne savais rien de lui, mais en communiquant j’aurai peu à peu des bribes. Et je devinerais le reste. Ou je l’inventerai. J’ai accepté.

    Pas une seconde à perdre. C’est mon défaut : Lorsque je me lance dans une tâche, je ne sais pas la moduler. Je m’y enfonce sans trop y réfléchir, cœur et âme jusqu’à ce qu’il en sorte quelque chose d’acceptable. Quelque chose que je puisse lire sans l’effacer entièrement et tout reprendre à zéro.

     

    Je me suis vite trouvé confronté à des problèmes que je n‘avais pas envisagé. Les conversations électroniques me donnaient la matière pour cerner sa personnalité. Je le voyais de plus en plus clairement, avec ses qualités et ses défauts, avec ses facettes glorieuses et ses points d’ombre. Il ne se dévoilait pas. Je le devinais tel qu’il était derrière ses mots.

    La première difficulté était là. Est-ce que je devais écrire ce que je voyais ? Tout travestir ?  Je me rappelais de Zola traitant un de ses personnages  de peintre condamné à l’échec et perdant du coup l’amitié de Cézanne !

    J’essayais de le faire changer d’avis, de me relever de l’obligation que j’avais accepté, de ne plus me lire et surtout de ne plus me demander d’écrire pour lui.

    Peine perdue.

     

    J’ai rapproché mon bureau d’un des murs, le plus éloigné de la fenêtre. La lumière y arrive tamisée et cela devrait m’aider à me concentrer. Sur mes textes, bien sur. Sur la manière de m’en sortir aussi.

    Je cumule deux défauts : Un peu lâche. Je n’aime pas faire brutalement front à une situation désagréable. On dit que l’on est au mieux lorsqu’on est contre les cordes. Mais c’est seulement parce que la fuite n’est plus possible et il faut réagir. Consolation : Il y a des personnalités  qui se bloquent dans l’incapacité de faire face aux situations de la vie et, même contre les cordes, ne réagissent pas.  Ce sont des morts vivants. Ce n’est pas mon cas.

    Le deuxième défaut est une sensiblerie excessive. Je n’aime pas faire mal et je vais chercher tous les moyens de l’éviter. Et du coup retarder des décisions que de toute façon il faut prendre. A la fin on fait plus de mal.

     

    Un jour il a disparu de mon écran. Pas de réponse à mes messages. Rien malgré les relances. Il est parti comme il était venu, sans me demander mon avis. Sans prévenir.

    Je suis sorti de ma prison, mais pas comme un ancien prisonnier libéré, mais à sa recherche. Impossible de me passer de lui. Je m’étais fait la belle pour tenter de le retrouver.  Je n’ai pas réussi.

    En souvenir de lui j’ai écrit une petite nouvelle avec notre aventure.

    J’ai changé un peu l’histoire. J’ai reconnu ses qualités ; il m’avait donné des idées pour rédiger mon travail et elles étaient bonnes. Il aurait tout à fait pu le faire lui-même, sans moi.

    Pour la première fois, j’ai vendu un grand nombre d’exemplaires. Des critiques ont cru voir en moi un véritable écrivain.

    S’ils savaient d’où me venait l’inspiration !

    Mais je suis toujours un peu lâche. Dans les interviews que j’ai accordées, je n’ai rien dit.

     

    © Jorcas

     

     


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    Je sais que parfois tout s’enchaîne, les histoires de pente sur laquelle on glisse. Mais ça ne me suffit pas, je ne suis pas convaincu que cela vienne tout seul.

    Il n’y a pas plus d’enchainement dans le bonheur que dans le malheur.

     

    Alors quoi, tu nous joues le mécréant ?

     

    Eh bien, je n’ai pas la réponse facile et ce n’est pas le lieu pour faire de la réflexion prétendument philosophique. J’ai tellement de doutes que je doute de mon doute. C’est la sardine qui se mord la queue, j’en conviens, mais c’est une réalité. D’ailleurs, elle est très partagée car a lire comme je le fais tout ce qui s’imprime et s’exprime, on n’est pas plus avancé.

    Les gens se contredisent les uns les autres, ce qui est normal, autrement ce serait le silence des cimetières. Si on les suit un peu de temps, ils se contredisent eux-mêmes. Ils ont beau expliquer, donner des raisons, souvent irraisonnées, c’est quand même le contraire de ce qu’ils avaient dit avant. Et avec quel talent et quelle force !

    Vous prenez une logique de syllogisme rigoureux. C’est bon, il n’y a qu’une bonne réponse. Puis un petit changement dans l’ordre des mots qui ne change pas grand chose dans la vie ordinaire de vous et moi et le tour est joué. Ce qui était imparable hier tombe dans l’eau aujourd’hui.

     

    Mais ça ne vaut pas ! Tu parles de réflexion élaborée et tu sautes à la vie de toi et moi. Quel rapport ?

     

    Justement, je voudrais qu’il y ait un rapport. A quoi ça me servirai de me triturer les méninges si je ne comprends pas pourquoi le pain coute plus cher aujourd’hui qu’hier ? Et ta petite voisine, qui t’aimait tant, elle a été faire du vélo avec  le bellâtre du cinquième. Elle t’avait bien dit qu’elle aimait les hommes fins et intellectuels comme nous. Et puis ? Tu comprends le changement ? T’as une explication logique ?

     

    Ca n’a rien à voir avec la logique. On s’aimait, on ne s’aime plus, c’est tout. Elle va voir ailleurs, c’est la vie.

     

    Pourquoi elle t’aimait hier et pas aujourd’hui ? D’accord, tu es un jour plus vieux, mais pas plus con. Ni plus intelligent. Tu t’habilles toujours à la mode du siècle dernier et t’as des bouquins plein ta chambre et des boutons plein la figure. Comme hier et avant hier. C’est bien ce que je dis, il n’y a pas de logique, donc pas de fatalité. Et toutes les explications qui prouvent qu’A plus B égal C sont fausses dès qu’on les sort du livre de maths. La vie c’est autre chose.

     

    Ca veut dire aussi que tout ce que tu me racontes est bidon, car c’est ma vie, mais tes élucubrations, donc, ça ne fonctionne pas ensemble.

     

    Oui et non. Enfin, peut être. Ce qui est important c’est que tu comprennes qu’il n’y a pas de fatalité et que la logique A plus B ne marche pas.

    Au fait, je voulais aussi te dire, le bellâtre du cinquième s’est trompé de route hier et ta jolie voisine l’a attendu pour rien. Un lapin involontaire, mais un lapin. Comme je passais par là en voiture, j’ai proposé de l’accompagner chez elle pour y laisser le vélo puis aller faire un tour.

    On a été chez elle et il s’est mis à pleuvoir, tu ne peux pas t’imaginer. Ce n’est pas idéal pour faire un tour, alors, on est resté à couvert.

    Demain matin on part ensemble au Touquet passer une petite semaine ensemble. Faire des ballades sur la plage.

     

    Je m’en fous, tu peux la garder sans me donner des raisons tarabiscotées. Le bellâtre du cinquième, comme tu dis, s’appelle Jeannot et hier  il ne s’est pas perdu : On était ensemble. Voilà, tu sais tout. Nous la semaine prochaine on s’en va sur la Côte d’Azur, Jeannot est bien plus beau lorsqu’il est bronzé et il paraît que le soleil c’est bon pour mes boutons.

     

    © Jorcas

     

     


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    La marionnette à ses moments perdus se rêvait  sur scène dans le petit théâtre qu’elle voyait de sa fenêtre, là-bas dans le square.

    « Vraiment c’est bien plus intéressant,  plus amusant  que d’être ici clouée au mur, juste bonne à casser la monotonie de la paroi. »

    Alors, ni une ni deux elle tira de ses fils fort, fort, aussi fort qu’elle pouvait, pour arracher le clou puis sauta du mur sur le buffet, du buffet sur la table, de la table sur le sol.

    Et trainant ses cordelettes et le clou resté attaché, partit en courant d’une course de marionnette vers le jardin publique où l’attendrait certainement son public.

     

    Elle arriva juste avant la fermeture, à temps pour entendre des applaudissements. Quelle musique merveilleuse !

    Elle entra par la petite porte sur le coté. Une main la prit par la taille.

     

    « Tiens, elle est nouvelle, celle là. Probablement pour la pièce de dimanche matin. »

     

    Et la main la posa doucement assisse sur une planche, côte à côte avec un beau monsieur à barbe et à moustache et une vieille sorcière qui se trainait de l’autre coté et la regardait de travers.

    La pièce de dimanche ! Capable d’improviser, elle l’était, sans doute, mais pour une première, c’était tout de même un pari risqué.

     

    «  Alors, c’est vous qui ferez la mijaurée, dimanche ? « 

    Lui demanda la sorcière 

     

    Mijaurée ? Pour qui elle se prend cette échappée du mussée des horreurs ?

     

    «  Vous êtes peut être la principale héroïne de la pièce, avec votre tête ? »

     

    « Bien sûr ! C’est bien moi la garante du travail de l’auteur !  Vous, l’auteur ne vous a mis là que pour faire valoir son point de vue. »

     

    Pas si différent de son ancien mur. Collée par une autre sorte de clou, mais clou tout de même !

    Mais si elle avait eu la force de s’arracher à son premier destin décoratif, pourquoi ne pas continuer sur son propre chemin ?

    Les yeux fermés pour concentrer toute son énergie, elle souhaita que les fils qui trainaient encore deviennent des ailes. Des petites ailes superposées, comme celles des libellules  qu’elle avait vu, l’été, tourner près de la mare du jardin.

    Elle serra les dents, se concentra, un seul vœux mais profond. Et alors, elle se mit à voleter. Son corps devint tout bleu, d’un bleu doux.

    Et d’un seul coup de ses anciennes cordelettes, elle s’élança …..vers la mare d’eau du jardin.

    Un souffle de vent du nord en fit une belle petite libellule en ciment  posée sur le chapeau du nain de jardin.

     

    © Jorcas

     

     


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